étendues par cette
guerre, sont injustement acquises dans l'origine. Il est vrai, Sire, que les
traités de paix subséquents semblent couvrir et réparer cette injustice,
puisqu'ils vous ont donné les places conquises; mais une guerre injuste
n'en est pas moins injuste, pour être heureuse. Les traités de paix signés
par les vaincus ne sont point signés librement. On signe le couteau sur
la gorge; on signe malgré soi, pour éviter de plus grandes pertes; on
signe comme on donne sa bourse quand il la faut donner ou mourir. Il
faut donc, Sire, remonter jusqu'à cette origine de la guerre de Hollande,
pour examiner devant Dieu toutes vos conquêtes.
Il est inutile de dire qu'elles étaient nécessaires à votre Etat: le bien
d'autrui ne nous est jamais nécessaire. Ce qui nous est véritablement
nécessaire, c'est d'observer une exacte justice. Il ne faut pas même
prétendre que vous soyez en droit de retenir toujours certaines places,
parce qu'elles servent à la sûreté de vos frontières. C'est à vous à
chercher cette sûreté par de bonnes alliances, par votre modération, ou
par des places que vous pouvez fortifier derrière; mais enfin, le besoin
de veiller à notre sûreté ne nous donne jamais un titre de prendre la
terre de notre voisin. Consultez là-dessus des gens instruits et droits; ils
vous diront que ce que j'avance est clair comme le jour.
En voilà assez, Sire, pour reconnaître que vous avez passé votre vie
entière hors du chemin de la vérité et de la justice, et par conséquent
hors de celui de l'Evangile. Tant de troubles affreux qui ont désolé
toute l'Europe depuis plus de vingt ans, tant de sang répandu, tant de
scandales commis, tant de provinces saccagées, tant de villes et de
villages mis en cendres, sont les funestes suites de cette guerre de 1672,
entreprise pour votre gloire et pour la confusion des faiseurs de gazettes
et de médailles de Hollande. Examinez, sans vous flatter, avec des gens
de bien si vous pouvez garder tous ce que vous possédez en
conséquence des traités auxquels vous avez réduit vos ennemis par une
guerre si mal fondée.
Elle est encore la vraie source de tous les maux que la France souffre.
Depuis cette guerre, vous avez toujours voulu donner la paix en maître,
et imposer des conditions, au lieu de les régler avec équité et
modération. Voilà ce qui fait que la paix n'a pu durer. Vos ennemis,
honteusement accablés, n'ont songé qu'à se relever et qu'à se réunir
contre vous. Faut-il s'en étonner? Vous n'avez pas même demeuré dans
les termes de cette paix que vous aviez donnée avec tant de hauteur. En
pleine paix, vous avez fait la guerre et des conquêtes prodigieuses.
Vous avez établi une Chambre des réunions[2], pour être tout ensemble
juge et partie: c'était ajouter l'insulte et la dérision à l'usurpation et à la
violence. Vous avez cherché dans le traité de Westphalie des termes
équivoques pour surprendre Strasbourg. Jamais aucun de vos ministres
n'avait osé, depuis tant d'années, alléguer ces termes dans aucune
négociation, pour montrer que vous eussiez la moindre prétention sur
cette ville. Une telle conduite a réuni et animé toute l'Europe contre
vous. Ceux mêmes qui n'ont pas osé se déclarer ouvertement souhaitent
du moins avec impatience votre affaiblissement et votre humiliation,
comme la seule ressource pour la liberté et pour le repos de toutes les
nations chrétiennes. Vous qui pouviez, Sire, acquérir tant de gloire
solide et paisible à être le père de vos sujets et l'arbitre de vos voisins,
on vous a rendu l'ennemi commun de vos voisins, et on vous expose à
passer pour un maître dur dans votre royaume.
[Note 2: Voir la préface de Henri Guillemin dans le livre intitulé
"LETTRE A LOUIS XIV" publié par les Editions Ides et Calendes,
Collection du Sablier, 1961, Neuchâtel, Suisse.]
Le plus étrange effet de ces mauvais conseils est la durée de la ligue
formée contre vous. Les alliés aiment mieux faire la guerre avec perte
que de conclure la paix avec vous, parce qu'ils sont persuadés, sur leur
propre expérience, que cette paix ne serait point une paix véritable, que
vous ne la tiendriez non plus que les autres, et que vous vous en
serviriez pour accabler séparément sans peine chacun de vos voisins
dès qu'ils se seraient désunis. Ainsi, plus vous êtes victorieux, plus ils
vous craignent et se réunissent pour éviter l'esclavage dont ils se croient
menacés. Ne pouvant vous vaincre, ils prétendent du moins vous
épuiser à la longue. Enfin ils n'espèrent plus de sûreté avec vous qu'en
vous mettant dans l'impuissance de leur nuire. Mettez-vous, Sire, un
moment en leur place, et voyez ce que c'est que d'avoir préféré son
avantage à la justice et à la bonne foi.
Cependant vos peuples, que vous devriez aimer comme vos enfants,
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