Les voix intimes | Page 9

J.-B. Caouette
terre?Dans un coin de la France, au fond d'un cimetière,
Où nul peut-être ne priera...?L'inexorable mort l'a couché dans la bière?En attendant qu'un jour revienne sa poussière
En ce pays qu'il illustra!
Re?ois avec tendresse, ? barde que j'admire,?Ces vers que je redis sur ma craintive lyre,
Et que l'amitié m'inspira!?Puisse les Canadiens dresser à ta mémoire?Sur le roc de Québec un monument de gloire!
Et l'Amérique applaudira!
1er ao?t 1877.
LA CITé DE CHAMPLAIN
Assise sur un roc où notre espoir se fonde,?Tu mires ta grandeur dans la vague profonde
Du fleuve Saint-Laurent;?Tes vieux créneaux noircis par la poudre et la flamme?Ont l'air de regarder s'envoler la grande ame
De Montcalm expirant!
Aux jours anciens, la voix de la mitraille?Sur tes remparts a retenti souvent;?Et l'étranger sur ta haute muraille?Peut lire encore ce poème éloquent.?Un siècle et plus, les enfants de la France?Ont répandu pour toi leur noble sang,?Mais délaissés par une vile engeance,?Ils t'ont perdue avec le drapeau blanc...
Depuis longtemps l'amour et l'harmonie?Ont remplacé les haines d'autrefois;?Et l'Angleterre avec art s'ingénie?A rendre heureux les rejetons gaulois.?Si dans ton sein la lutte recommence?Entre ces coeurs vibrant à l'unisson,?C'est une lutte où l'esprit, la science?Ont plus de part que l'éclat du canon!
24 juin 1885
UN ORPHELIN [3]
[Note 3: Joseph-Orance de Grandbois, né à Saint-Casimir, comté de Portneuf, le 3 mai 1884, devint orphelin de père et de mère à l'age de deux ans, et fut confié aux révérendes Soeurs de la Charité de Québec, le 17 mars 1886. Le 11 juin de la même année, M. l'abbé H.-R. Casgrain.--qui avait été chargé par le comte A.-H. de Villeneuve, de Paris, France, de lui choisir un petit orphelin canadien-fran?ais, qu'il désirait adopter pour son enfant--vint chercher Joseph-Orance qu'il envoya à Paris sous les soins d'une brave femme de Saint-Casimir, nommée Béonie Hardy. Le 8 novembre 1890, l'honorable M. H. Mercier, premier ministre de la province de Québec, présenta à la législature un projet de loi pour permettre à l'heureux orphelin d'ajouter à son nom celui de ?de Villeneuve?. Aujourd'hui l'enfant est l'unique héritier d'un titre honorable et d'une immense fortune.]
Joseph-Orance avait la beauté pour parure;?De longs et noirs cheveux encadraient sa figure
Pleine de grace et de candeur.?Un sourire angélique ornait sa bouche rose?Qui déjà soupirait une prière éclose
Dans les plis de son tendre coeur.
A peine deux printemps doraient sa belle tête,?Que la mort lui ravit--? terrible conquête!--
Famille, appui, félicité!?Mais Dieu prit l'orphelin sous sa puissante égide?Et lui donna pour mère et pour fidèle guide
Une des soeurs de charité.
Les soeurs de charité! quelles femmes divines!?Et qui peut dignement chanter ces héro?nes
Que vivent dans l'humilité??Pour sauver l'orphelin de l'affreuse indigence,?Former sa foi, son coeur et son intelligence,
Elles épuisent leur santé!
Qu'il fasse chaud ou froid, qu'il vente, pleuve ou grêle,?Elles vont mendier, d'une voix faible et grêle,
Pour l'enfant que prie au saint lieu.?Et l'homme que leur voix attendrit et console,?Leur verse avec bonheur dans la main une obole
Qui réjouit le coeur de Dieu!
Oui, ces soeurs-que la providence?éprouve et bénit tour à tour--?Accueillirent Joseph-Orance?Avec un vrai transport d'amour.
Et le bel ange oublia vite?Le pauvre toit de ses a?eux,?Puisqu'il avait--outre le g?te--?Trouvé des coeurs affectueux.
Ses yeux rayonnaient d'allégresse;?Ses lèvres gazouillaient toujours;?Ses mains ne donnaient que caresse?A celles qui charmaient ses jours.
Oh! que de chauds baisers sa bouche?Imprimait au front de la soeur,?Qui penchée auprès de sa couche,?Lui parlait du divin Sauveur!
En savourant ce pur langage,?Plus doux que le chant de l'oiseau,?Il croyait voir l'auguste image?De la Vierge sur son berceau!
Et lorsqu'il entendait redire?Le nom si doux de l'éternel,?Alors on le voyait sourire?Et tourner ses yeux vers le ciel.
Le soir, en fermant sa paupière,?Il bredouillait du fond du coeur?Cette humble et magique prière:??Veillez toujours sur moi, Seigneur!?
Dans la saison des fleurs de la présente année,?Par une radieuse et chaude matinée,
Un prêtre en cet asile entrait;?Il était le porteur d'un aimable message,?Et la joie éclairant son austère visage
Mieux que sa bouche l'annon?ait.
?Mes bonnes soeurs, dit-il, j'arrive de la France,?Et je viens en votre ame adoucir la souffrance
Que le ciel y verse souvent;?Un comte de Paris, pieux et charitable,?Voudrait pour héritier de son titre honorable
Un orphelin intelligent;
?Un orphelin issu d'honnêtes père et mère,?Ayant un doux visage, un noble caractère
Et du go?t pour la piété;?Il ferait à l'enfant une heureuse existence?Et lui mettrait en main l'arme de la science
Pour défendre la vérité!
?Je vois dans cet asile un essaim de beaux anges?Dont les ris et les chants--harmonieux mélanges--
Pourraient nous faire rajeunir...?Je laisse à votre esprit le soin patriotique?De choisir l'orphelin que ce grand catholique
Destine au plus bel avenir!?
Joseph-Orance obtint la palme sur le nombre;?Mais son front se couvrit d'un nuage bien sombre
Lorsqu'on le mit dans le secret...?Et la soeur Saint-Vincent, qu'il appelait sa mère,?Ne pouvait voir partir, sans une peine amère,
Cet orphelin qu'elle adorait!
Le petit se cachait dans les plis de sa robe:?Telle contre une fleur l'abeille se dérobe
A l'oeil du ravisseur sournois!?Et la Soeur voulait dire à ce joli rebelle:??Va donc, ?
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