Les voix intimes | Page 2

J.-B. Caouette
vers fort bien tournés il s'en rencontre quelques-uns de tout à fait prosa?ques, par exemple:
...l'oeuvre utile et salutaire
Qu'on nomme le défrichement.
Mais il y assez de bonnes pièces pour sauver les _Voix Intimes_ d'un oubli prématuré. Le souffle religieux et national agite noblement un grand nombre de pages, et cela suffirait pour valoir un accueil favorable à leur auteur.
Publier un livre, c'est partir en guerre, s'exposer comme une cible, attraper les rhumatismes de la critique, recevoir des coups de lance, se faire pincer les chaires par des balles qui ricochent sans savoir où elles vont; mais on est rarement tué à ce métier et, le plus souvent, on y gagne de s'aguerrir et d'atteindre les plus hauts grades.
Il y a longtemps que le dicton roule de par le monde: ?ce sont toujours les mêmes qui se font tuer?--il n'y a donc pas trop de risques à courir.--En avant les jeunes! C'est à notre tour à vous regarder faire.
BENJAMIN SULTE.
LE BONHEUR
A MA FEMME
Où donc est le bonheur? disais-je.--Infortuné!
Le bonheur, ? mon Dieu, vous me l'avez donné.
VICTOR HUGO
J'ai cherché vainement dans les bruyantes fêtes,?Où l'éclat des plaisirs éblouit tant de têtes,?Ce trésor précieux qu'on nomme le bonheur;?Je l'ai cherché d'abord sur le sol que je foule?En voulant soulever les bravos de la foule,?Et je n'ai recueilli qu'un éphémère honneur!
Pour le trouver, j'ai fait de pénibles voyages,?Franchi les flots amers, parcouru maints villages?Où la vive ga?té faisait battre les coeurs;?Mais, ? fatalité! la sombre nostalgie,?Ce désir violent de revoir la patrie,?Aggravait chaque jour le poids de mes malheurs!
Après avoir vécu sur la plage étrangère,?Sans ressource et craignant la main de la misère,?Je revins au pays avec le fol espoir?De trouver le bonheur en l'amitié sincère?D'hommes que mainte fois j'avais aidés naguère.?Mais les cruels ingrats rougirent de me voir!
Le bonheur!... pour l'avoir j'ai gravi le Parnasse?Sur la cime duquel les disciples d'Horace?Buvaient le doux nectar que leur versaient les dieux;?J'allais toucher au but, quand mon lache Pégase,?Prenant un ton railleur, me lan?a cette phrase:??Halte-là! car tu n'es qu'un intrus en ces lieux...?
Alors je m'écriai, dans ma douleur amère.?_Où donc est le bonheur?_ Serait-ce une chimère?Qui redonne l'espoir à tout être souffrant??Hélas! je le croyais... Mais dès le jour, ? femme,?Où les sons de ta voix firent vibrer mon ame,?Je go?tai du bonheur le délice enivrant!
Et depuis qu'à nos yeux--aurore fortunée--?S'alluma le divin flambeau de l'hyménée,?Le bonheur, tu le sais, nous souris toujours.?Il nous sourira même au sein de la souffrance,?Parce que nous pla?ons toute notre espérance?Dans le Dieu qui bénit et féconde les jours!
Septembre 1886.
RENOUVEAU
A M. BENJAMIN SULTE
Le doux printemps vient de para?tre?Sous son manteau de velours vert,?Et déjà l'on voit dispara?tre?Tous les vestiges de l'hiver.
Son oeil à l'éclat de la braise:?A la chaleur de ses rayons?Naissent lilas, fleur, rose et fraise.?Abeilles d'or et papillons.
Les arbres engourdis naguère?Semblent dresser plus haut le front,?Car la nature, en bonne mère,?Verse la sève dans leur tronc.
Au plus épais de la ramure?Les oiseaux préparent leurs nids,?Sans s'occuper si la pature?Ou le lin leur seront fournis.
Du sol jaillit plus d'une source?Que la froidure emprisonnait;?Et le ruisseau reprend sa course?A travers clos et jardinet.
Sur le bord de maintes rivières?L'on voit le castor vigilant?Transporter le bois et les pierres?Pour batir son g?te étonnant.
La brise, sylphide légère,?Fait la cour à toutes les fleurs,?Puis vole embaumer l'atmosphère?Des plus enivrantes senteurs.
De la cime de nos montagnes?Se précipite le torrent?Qui fertilise nos campagnes?Avec les eaux du Saint-Laurent.
A nos fenêtres, l'hirondelle?S'annonce par des cris joyeux;?Elle revient à tire-d'aile?Charmer les jeunes et les vieux.
Au palais comme à la chaumière,?La porte s'ouvre à deux battants:?Riche et pauvres ont soif de lumière?D'air pur, de parfums odorants.
Parfois l'on quitte sa demeure?Pour aller prendre un gai repas?Sur la pelouse où toute à l'heure,?Bébé fera ses premiers pas.
Plus loin les colons sur leur terre?Travaillent courageusement?A l'oeuvre utile et salutaire?Qu'on nomme le défrichement.
Les uns creusent, les autres sèment?Ou bien coupent les arbres morts;?Ces braves b?chent, chantent, s'aiment?Et dorment la nuit sans remords!
La fillette en robe de bure?Chante et cultive tout le jour;?Le soir
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