m'envahit quand c'est vous qui souffrez?
LE CHANT DU PRINTEMPS
?O Moires infinies, déesses aériennes, dispensatrices universelles, nécessairement infligées aux mortels!? (_Hymnes Orphiques._)
Le silence et les bruits, soudain, dans l'air humide?Ont ce soir un accent plus vaste et plus ardent;?Sur le vent aminci Février fuit, rapide,?Quelqu'un revient, je sens qu'il vient, c'est le Printemps!
H?te mystérieux, il est là sous la terre,?Il est près du branchage éploré des forêts,?Il monte, il s'est risqué, il ne peut pas se taire,?Et son premier frisson répand tous ses secrets!
--Il passe, mais personne encore sur la route?Ne peut le soup?onner, je regarde, j'écoute:
--Oui, je t'ai reconnu, sublime Dépouillé!?Sordide vagabond sans fleurs et sans feuillage,?Qui rampes, et répands sur les chemins mouillés?Cette clarté pensive et ces poignants présages!
Oui, je t'ai reconnu, ton souffle est devant toi?Comme un tiède horizon où flotteront les graines;?Le silence attentif et fourmillant des bois?S'emplit furtivement de ta languide haleine.
Oui, je t'ai reconnu à ce trouble du coeur?Qui arrête ma vie et la rend palpitante,?Je suis la chasseresse ayant surpris l'odeur?De la jeune antilope étourdie et courante!
--Ah! qui me tromperait, Printemps terrible et doux,?Sur ton subtil arome et sur ta ressemblance,?Je sais ton nom secret que les lis et les loups?Proclameront la nuit dans le puissant silence!
Je sais ton nom profond, chuchoté, recouvert,?Mystérieux, sournois, débordant, formidable,?Qui fait tressaillir l'eau, les écorces, les airs,?Et germer jusqu'aux cieux la cendre impérissable!
C'est toi l'Eros des Grecs, au rire frémissant,?Le jeune homme à qui Pan, sonore et frénétique,?Enseigne un chant par qui le flot phosphorescent?Répond au long appel des astres pathétiques!
C'est toi le renouveau, toi par qui l'aujourd'hui?Est différent d'hier comme le jour de l'ombre;?Toi qui, d'un autre bord où ton royaume luit,?Fais retentir vers nous des fanfares sans nombre.
Un ordre plus formel que la soif, que la faim,?Commande par ta voix rapide, active, urgente,?Et du fond des taillis et des gouffres marins?Monte le chaud soupir des bêtes émergeantes!
--Je te suivrai, Printemps, malgré les maux constants,?Je te suivrai, j'irai sans défense et sans armes?Vers ce vague bonheur qui brille au fond du temps?Comme un fixe regard irrité par les larmes!
Je te suivrai, malgré le souvenir des morts,?Malgré tous les vivants engloutis dans mon ame,?Malgré mon coeur qui n'est qu'un gémissant effort,?Malgré mon fier esprit qui résiste et me blame.
--Mais quoi! ce n'est donc pas le neuf et frais bonheur?Qui ce soir me tentait par son doux sortilège??Ces espoirs, ces souhaits, ces regrets, ces langueurs,?Hélas! c'est le passé, beau comme un long arpège;
Hélas! c'est le passé, ce courage ingénu,?Ce sublime désir de mourir et de vivre?Que ma jeunesse avait quand je vous ai connu,?Vous, qui f?tes la page insigne dans le livre!
Hélas! c'est le passé, ce parfum dans le vent,?Cet émoi dans les airs, ces grelots des voitures,?Cet orgueilleux besoin d'être encor plus vivant,?Et de recommencer, puisqu'hélas! rien ne dure!
Ainsi je me croyais mêlée au renouveau,?Je ne suis que l'ardente et grave prisonnière?Qui sur ses poignets las sent le poids des anneaux,?Qui pleure sur la route et regarde en arrière!
Hélas! c'est le passé que je cherche toujours,?C'est vers lui que j'allais! Comme s'il est possible?De retrouver le sacre unique de l'amour,?Et d'aborder encore à cette ?le sensible?Qui, désormais, n'a plus de barques alentour,?Et luit sur l'onde comme un roc inaccessible?Où des archers courants nous ont choisis pour cible...
JE VOUS AVAIS DONNE...
Je vous avais donné tous les rayons du temps,
Les senteurs que l'azur épanche,?Et la lueur que fait, dans le Sud éclatant,
Le soleil sur les maisons blanches!
Je n'ai jamais repris ce que je vous donnais,
Si bien que dans ces jours funestes?Je suis un étranger que nul ne reconna?t,
A qui rien du monde ne reste.
Je vous avais donné les Chevaux du Matin
Qu'un dieu fait boire aux eaux d'Athènes,?Et le sanglot qui na?t, sur le mont Palatin,
Du bruit des plaintives fontaines.
Parfois, quand j'apportais entre mes faibles doigts
Le printemps qui luit et frissonne,?Vous me disiez: ?Je n'ai de désir que de toi,
Coupe tes mains et me les donne.?
Mais ces dons exaltés n'étaient pas suffisants,
La rose manque à la guirlande,?Je conservais encor la pourpre de mon sang,
Ce soir je vous en fais l'offrande.
--O mon ami, prenez ce sang si gai, si beau,
Si fier, si rapide et si sage,?Qui, dans ses bonds légers, reflétait les coteaux,
Et la nuée à son passage!
Que de mon coeur fervent à vos timides mains
Il coule, abondant et sans lie,?Afin que vous ayez, dans le désert humain,
Une coupe toujours emplie.
Déjà mon front plaintif est moins brillant qu'hier,
Mais la douleur ne rend pas laide,?Le visage est sacré quand il est apre et fier
Comme les sables de Tolède;
Un visage est sacré quand il s'épuise et meurt
Comme un sol que l'été dévaste,?Sur qui les lourds pigeons et les ombres des fleurs
Font des taches sombres et vastes.
Un destin est sacré quand il a contre lui
Toute une foule qui s'élance,?Et que, sous cet affront, il s'enivre, et qu'il luit
Comme l'olivier et la lance!
Un destin est sacré
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