retenu!
--Et
puis te voir enfin venir entre les palmes,
Innocent, assuré, sans crainte,
les yeux calmes,
Vers mes bras enivrés où le destin fatal
Te pliera
durement et te fera du mal;
Alors saisir tes mains, comme la brusque
chèvre
Mord la fleur de cassie et rompt le myrte étroit;
Et, les yeux
clos, avoir, pour la première fois,
Bu l'humide tiédeur qui dort entre
tes lèvres...
--O cher pâtre, inquiet et désormais terni.
J'ai vécu pour
cela, qui est déjà fini!
CANTIQUE
«Amphore de Cécrops, verse ta rosée bachique!»
(Anthologie
grecque.)
Mon amour, je ne puis t'aimer: le jour éclate
Comme un blanc
incendie, au mont des aromates!
Le gazon, telle une eau, fraîchit au
fond des bois:
Un délire sacré m'entraîne loin de toi.
--Cette odeur
de soleil étreignant la prairie,
Ce doux hameau, cuisant comme une
poterie,
Avec ses toits de brique, ardents, pourpres, poreux,
Et le
calme palmier de Bethléem près d'eux,
Cette abeille qui danse, ivre,
imprudente et brave,
Dans les bleus diamants de la chaleur suave,
Me font un corps céleste, aux dieux appareillé!
--L'aigu soleil extrait
des fentes du laurier,
Des étangs sommeillants où le serpent vient
boire,
Une opaque senteur qui semble verte et noire.
L'été, de tous
côtés sur le temps refermé,
Noie de lueurs l'azur, étale et parfumé;
La montagne bleuâtre a l'aspect héroïque
Du bouclier d'Achille et des
guerriers puniques,
Et je me sens pareille à quelque aigle hardi
Dont le vol palpitant touche des paradis!
Mais je ne puis t'aimer!
--Etincelants atomes,
Jardins voluptueux, confitures d'aromes,
Baisers dissous, coulant dans les airs qui défaillent,
Chaude ivresse
en suspens, lumière qui tressaille,
Navires au lointain se détachant du
port,
Promettant plus d'espoir que la gloire et que l'or,
Dont le pont
clair est comme un pays sans rivage,
Ressemblant au désir,
ressemblant au nuage,
Et dont les sifflements et la sourde vapeur
Dispensent un diffus et sensuel bonheur!...
--O sifflets des vaisseaux,
mugissements languides,
Nostalgiques appels vers les îles torrides,
Sourde voix du taureau, plein d'ardeur et d'ennui,
A qui Pasiphaé
répondait dans la nuit!...
--Non, je ne puis t'aimer, tu le sens; les dieux
mêmes
Sont venus vers mon coeur afin que je les aime;
Laisse-moi
diriger mes pas dansants et sûrs
Vers mes frères divins qui règnent
dans l'azur!
--Mais toi, lorsque le soir répandra de son urne
L'ardeur
mélancolique et les cendres nocturnes,
Lorsqu'on verra languir l'air et
l'arbre étonnés,
Lorsque tout l'Univers viendra se confiner
Au cercle
étroit du coeur; quand, dans l'ombre qui mouille, On entendra le chant
acharné des grenouilles
Quand tout sera furtif, secret, mystérieux,
O
mon ami, rends-moi le soleil de tes yeux!
Plus beaux que la clarté,
plus sûrs, plus saisissables,
Nous goûterons ensemble un bonheur
misérable.
Tes deux bras s'ouvriront comme des routes d'or
Où mes
rêves courront sans halte et sans effort;
La douce ombre que fait ton
menton sur ta gorge
Sera comme un pigeon traversant un champ
d'orge;
Je verrai dans tes yeux profonds et fortunés
Tout ce que
l'Univers n'a pas pu me donner:
O grain d'encens par qui l'on goûte
l'Arabie!
Etroit sachet humain où je touche et déplie
Des parfums,
des pays, des temps, des avenirs,
Plus que mon vaste coeur ne peut en
contenir!...
--Ainsi, qu'avais-je fait pendant cette journée?
J'étais ivre, j'étais
éblouie! Etonnée,
Je parlais à travers les siècles transparents
Aux
bergers grecs, chantant sur le bord des torrents.
La jeunesse,
l'immense, aveuglante jeunesse
Me leurrait de sa longue, expectante
paresse,
Et je ne pensais pas qu'il faut, pour être heureux,
Être
comme un troupeau attendri et peureux
Qui, lorsque naît la nuit
provocante et bleuâtre,
Se range sous la main et sous la voix du pâtre.
--Mais le jour chancelant a quitté l'horizon.
Un doux soupir
entr'ouvre et creuse les maisons,
Voici la nuit: l'air fuit, pressé,
glissant, agile,
Esclave libéré qui rejoint son asile.
Deux ormeaux
délicats, sous les brises penchants,
Sont deux syrinx feuillues d'où
s'élancent des chants.
La lune plie au poids des nuages de jade,
Comme un rocher poli sent bondir les dorades.
Nous sommes seuls;
le soir semble nous engloutir.
J'ai besoin d'un vivant, d'un constant
avenir!
Retiens par ta multiple et claire exubérance
Mon âme
qu'attiraient l'espace et le silence;
J'ai besoin de ton souffle humain,
qui dit: «Je suis
Le compagnon sensible et mortel qui te suit
Sur la
route incertaine, et, plus tard, dans la terre
Où tu seras poussière,
oubli, ombre et poussière.
Je suis ton âme ailée, et ce qui restera
De
toi, lorsque tes yeux, tes lèvres et tes bras,
Dont tu fis une aurore, une
lyre, une épée,
Seront aussi oisifs que des branches coupées...»
Ainsi me parlera la voix de cet ami.
Alors, malgré l'élan de mon
coeur insoumis,
Portant dans mon esprit plus d'éclairs, de vertige
Que la fougère n'a de pollen sur sa tige,
Que dans sa profondeur et sa
nappe la mer
N'a de scintillements argentés et amers,
Je fermerai
sur toi, créé à mon image,
Le cercle de mon rêve, où l'étoile des
Mages
Vers quelque nouveau dieu me conduisait toujours.
J'étais
comme un prophète éveillé sur les tours,
Et qui, s'émerveillant d'avoir
compris les causes
Que l'obscur Univers à son esprit propose,
Appelle avec une ivre et sacrilège ardeur
Plus d'astres, de secrets,
d'orage et de douleur!
--Mais ces ambitions d'une âme insatiable,
Sont un désert, gonflé de tempête et de sable.
Je préfère à ce faste, à
ces âpres transports,
La douceur de
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