Destin vous enrôle
Dans cette armée en
proie aux livides torpeurs,
Et que, réduit, le cou rentré dans les
épaules,
Vous ayez l'aspect de la peur?
Que plus froid que le froid, sans regard, sans oreille,
Germe qui se
rendort dans l'oeuf universel,
Vous soyez cette cire âcre, dont les
abeilles
Ecartent leur vol fraternel!
N'est-il pas suffisant que déjà moi je parte,
Que j'aille me mêler aux
fantômes hagards,
Moi qui, plus qu'Andromaque et qu'Hélène de
Sparte,
Ai vu guerroyer des regards?
Mon enfant, je me hais, je méprise mon âme,
Ce détestable orgueil
qu'ont les filles des rois,
Puisque je ne peux pas être un rempart de
flamme
Entre la triste mort et toi!
Mais puisque tout survit, que rien de nous ne passe,
Je songe, sous les
cieux où la nuit va venir,
A cette éternité du temps et de l'espace
Dont tu ne pourras pas sortir.
--O beauté des printemps, alacrité des neiges,
Rassurantes parois du
vase immense et clos
Où, comme de joyeux et fidèles arpèges,
Tout monte et chante sans repos!...
J'AI TANT RÊVE PAR VOUS...
J'ai tant rêvé par vous, et d'un coeur si prodigue,
Qu'il m'a fallu vous
vaincre ainsi qu'en un combat;
J'ai construit ma raison comme on fait
une digue,
Pour que l'eau de la mer ne m'envahisse pas.
J'avais tant confondu votre aspect et le monde,
Les senteurs que
l'espace échangeait avec vous,
Que, dans ma solitude éparse et
vagabonde,
J'ai partout retrouvé vos mains et vos genoux.
Je vous voyais pareil à la neuve campagne,
Réticente et gonflée au
mois de mars; pareil
Au lis, dans le sermon divin sur la montagne;
Pareil à ces soirs clairs qui tombent du soleil;
Pareil au groupe étroit de l'agneau et du pâtre,
Et vos yeux, où le
temps flâne et semble en retard,
M'enveloppaient ainsi que ces
vapeurs bleuâtres
Qui s'échappent des bois comme un plus long
regard.
Si j'avais, chaque fois que la douleur s'exhale,
Ajouté quelque pierre à
quelque monument,
Mon amour monterait comme une cathédrale
Compacte, transparente, où Dieu luit par moment.
Aussi, quand vous viendrez, je serai triste et sage,
Je me tairai, je
veux, les yeux larges ouverts,
Regarder quel éclat a votre vrai visage,
Et si vous ressemblez à ce que j'ai souffert...
L'AMITIE
«Je t'apporte le prix de ton bienfait...»
Mon ami, vous mourrez, votre pensive tête
Dispersera son feu,
Mais vous serez encor vivant comme vous êtes
Si je survis un peu.
Un autre coeur au vôtre a pris tant de lumière
Et de si beaux contours,
Que si ce n'est pas moi qui m'en vais la
première,
Je prolonge vos jours.
Le souffle de la vie entre deux coeurs peut être
Si dûment mélangé,
Que l'un peut demeurer et l'autre disparaître
Sans que rien soit changé;
Le jour où l'un se lève et devant l'autre passe
Dans le noir paradis,
Vous ne serez plus jeune, et moi je serai lasse
D'avoir beaucoup senti;
Je ne chercherai pas à retarder encore
L'instant de n'être plus;
Ayant tout honoré, les couchants et l'aurore,
La mort aussi m'a plu.
Bien des fronts sont glacés qui doivent nous attendre,
Nous serons bien reçus,
La terre sera moins pesante à mon corps
tendre
Que quand j'étais dessus.
Sans remuer la lèvre et sans troubler personne,
L'on poursuit ses débats;
Il règne un calme immense où le rêve
résonne,
Au royaume d'en-bas.
Le temps n'existe point, il n'est plus de distance
Sous le sol noir et brun;
Un long couloir, uni, parcourt toute la
France,
Le monde ne fait qu'un;
C'est là, dans cette paix immuable et divine
Où tout est éternel,
Que nous partagerons, âmes toujours voisines,
Le froment et le sel.
Vous me direz: «Voyez, le printemps clair, immense,
C'est ici qu'il naissait;
La vie est dans la mort, tout est, rien ne
commence.»
Je répondrai: «Je sais.»
Et puis, nous nous tairons; par habitude ancienne
Vous direz: «A demain.»
Vous me tendrez votre âme et j'y mettrai la
mienne,
Puis, tenant votre main
Je verrai, déchirant les limbes et leurs portes,
S'élançant de mes os,
Un rosier diriger sa marche sûre et forte
Vers le soleil si beau...
TU T'ELOIGNES, CHER ÊTRE...
Tu t'éloignes, cher être, et mon coeur assidu
Surveille ta présence, au
lointain scintillante;
Te souviens-tu du temps où, les regards tendus
Vers l'espace, ma main entre tes mains gisante,
J'exigeai de régner sur
la mer de Lépante,
Dans quelque baie heureuse, aux parfums
suspendus,
Où l'orgueil et l'amour halettent confondus?
A présent, épuisée, immobile ou errante,
J'abdique sans effort le
destin qui m'est dû.
Quel faste comblerait une âme indifférente?
Je n'ai besoin de rien, puisque je t'ai perdu...
J'ESPÈRE DE MOURIR...
J'espère de mourir d'une mort lente et forte,
Que mon esprit verra
doucement approcher
Comme on voit une soeur entrebâiller la porte,
Qui sourit simplement et qui vient vous chercher.
Je lui dirai: Venez, chère mort, je vous aime,
Après mes longs
travaux, voici vos nobles jeux.
J'ai longtemps refusé votre secours
suprême,
Car si le corps est las, l'esprit est courageux.
Mais venez, délivrez un courage qui s'use,
Abrégez le combat, rendez
à l'univers
L'immense poésie embuée et confuse
Dont mon âme
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.