Les vaines tendresses | Page 9

Sully Prudhomme
moindre soupir dont l'oreille est ��mue?Nous sentons la piti�� dans nos coeurs tressaillir,?Et pour les cris lointains lachement d��faillir;?Trop pauvres pour donner des pleurs �� tous les hommes,?Nous ne plaignons que ceux qui souffrent o�� nous sommes.
Quand nos foyers sont doux et s?rs, nous oublions?Malgr�� nous, pr��s du feu, les grelottants haillons,?Et le bruit des canons, le fauve ��clair des lames,?Dans les yeux des enfants et dans la voix des femmes;?Ou, nous-m��mes sujets au sort des malheureux,?Nous tournons nos regards sur nous plus que sur eux.
Ah! si nos coeurs born��s que distrait ou resserre?Leur f��licit�� m��me ou leur propre mis��re,?A tant de maux si grands ne se peuvent ouvrir,?Qu'ils aient honte du moins de n'en pas plus souffrir!
[Illustration]
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LE VASE ET L'OISEAU
Tout seul au plus profond d'un bois,?Dans un fouillis de ronce et d'herbe,?Se dresse, oubli��, mais superbe,?Un grand vase du temps des rois.
Beau de mati��re et pur de ligne,?Il a pour anse deux b��liers?Qu'un troupeau d'amours familiers?Enlace d'une souple vigne.
A ses bords autrefois tout blancs?La mousse noire append son givre;?Une l��pre aux couleurs de cuivre?��toile et d��vore ses flancs.
Son poids a fait pencher sa base?O�� g?t un amas de d��bris,?Car il a ses angles meurtris,?Mais il tient bon l'orgueilleux vase.
Il songe: ?Autour de moi tout dort,?Que fait le monde? Je m'ennuie,?Mon crat��re est plein d'eau de pluie,?D'ombre, de rouille, et de bois mort.
O�� donc aujourd'hui se prom��ne?Le flot soyeux des courtisans??Je n'ai pas vu figure humaine?A mon pied depuis bien des ans.?
Pendant qu'il regrette sa gloire,?Perdu dans cet exil obscur,?Un oiseau par un trou d'azur?S'abat sur ses l��vres pour boire.
?Hol��! manant du ciel, dis-moi,?Toi devant qui l'horizon s'ouvre,?Sais-tu ce qui se passe au Louvre??Je n'entends plus parler du roi.
--Ah! tu prends �� l'heure o�� nous sommes,?Dit l'autre, un bien tardif souci!?Rien n'est donc venu jusqu'ici?Des branle-bas qu'ont faits les hommes?
--Parfois un soubresaut brutal,?Des rumeurs extraordinaires,?Comme de souterrains tonnerres?Font tressaillir mon pi��destal.
--C'est l'��cho de leurs grands vacarmes:?Plus une tour, plus un clocher?O�� l'oiseau puisse en paix nicher.?Partout l'incendie et les armes!
J'ai nagu��re, �� Paris, en vain?Heurt�� du bec les vitres closes,?Nulle part, m��me aux l��vres roses,?La moindre miette de vrai pain.
Aux mansardes des Tuileries?Je logeais, le printemps pass��,?Mais les flammes m'en ont chass��.?Ce n'��tait que feux et tueries.
Sur le front du g��nie ail��?Qui plane o�� sombra la Bastille,?J'ai voulu poser ma famille,?Mais cet asile a chancel��.
Des murs de granit qu'on restaure?Nous sommes l'un et l'autre exclus,?L�� le temps des palais n'est plus,?Et celui des nids, pas encore.?
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L'ALPHABET
Il g?t au fond de quelque armoire?Ce vieil alphabet tout jauni,?Ma premi��re le?on d'histoire,?Mon premier pas vers l'infini.
Toute la Gen��se y figure;?Le lion, l'ours et l'��l��phant;?Du monde la grandeur obscure?Y troublait mon ame d'enfant.
Sur chaque b��te un mot ��norme?Et d'un sens toujours inconnu,?Posait l'��nigme de sa forme?A mon d��sespoir ing��nu.
Ah! dans ce lent apprentissage?La cause de mes pleurs, c'��tait?La lettre noire, et non l'image?O�� la Nature me tentait.
Maintenant j'ai vu la Nature?Et ses splendeurs, j'en ai regret:?Je ressens toujours la torture?De la merveille et du secret,
Car il est un mot que j'ignore?Au beau front de ce sphinx ��crit,?J'en ��pelle la lettre encore?Et n'en saurai jamais l'esprit.
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SUR LA MORT
I
On ne songe �� la Mort que dans son voisinage:?Au s��pulcre ��loquent d'un ��tre qui m'est cher,?J'ai pour m'en p��n��trer fait un p��lerinage,?Et je p��se aujourd'hui ma tristesse d'hier.
Je veux, �� mon retour de cette sombre place?O�� semblait m'envahir la fun��bre torpeur,?Je veux me recueillir, et contempler en face?La Mort, la grande Mort, sans d��fi mais sans peur.
Assiste ma pens��e, aust��re Po��sie?Qui sacres de beaut�� ce qu'on a bien senti;?Ta s��v��re caresse aux pleurs vrais s'associe,?Et tu sais que mon coeur ne t'a jamais menti.
Si ton charme n'est point un mis��rable leurre,?Ton art un jeu servile, un vain culte sans foi,?Ne m'abandonne pas pr��cis��ment �� l'heure?O�� pour ne pas sombrer j'ai tant besoin de toi.
Devant l'atroce ��nigme o�� la raison succombe,?Si la mienne fl��chit tu la rel��veras;?Fais-moi donc explorer l'infini d'outre-tombe?Sur ta grande poitrine entre tes puissants bras;
Fais taire l'envieux qui t'appelle frivole,?Toi qui dans l'inconnu fais crier des ��chos,?Et pr��tes par l'accent, plus s?r que la parole,?Un sens r��v��lateur au seul frisson des mots.
Ne crains pas qu'au tombeau la morte s'en offense,?O Po��sie, ? toi, mon naturel secours,?Ma seconde berceuse au sortir de l'enfance,?Qui seras la derni��re au dernier de mes jours.
II
H��las! j'ai trop song�� sous les bl��mes t��n��bres?O�� les astres ne sont que des b?chers lointains,?Pour croire qu'��chapp�� de ses voiles fun��bres?L'homme s'envole et monte �� de plus beaux matins;
J'ai trop vu sans raison patir les cr��atures,?Pour croire qu'il existe au del�� d'ici-bas?Quelque plaisir sans pleurs, quelque amour sans tortures,?Quelque ��tre ayant pris forme et qui ne souffre pas.
Toute forme est sur terre un vase de souffrances,?Qui, s'usant �� s'emplir, se brise au moindre heurt;?Apparence mobile entre mille apparences?Toute vie est sur terre un flot qui roule et meurt.
N'es-tu plus qu'une chose au vague aspect de
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