esclave au beau corps,
Sans ouïe et sans
voix, pour toute bien-aimée.
À son oreille close, aux rougeurs de
camée,
Le feu de mon soupir dirait seul mes transports,
Et sa bouche, semblable aux coupes dont les bords
Distillent en
silence une ivresse enflammée,
M'offrirait son ardeur sans me l'avoir
nommée:
Nous nous embrasserions, muets comme deux morts.
Du moins pourrais-je, exempt d'amères découvertes,
Goûter dans la
splendeur de ces charmes inertes
L'idéal, sans qu'un mot l'eût jamais
démenti;
Lire, au contour sacré d'une lèvre pareille,
Le verbe de Dieu seul, et,
baisant cette oreille,
À Dieu seul confier ce que j'aurais senti.
TROP TARD
Nature, accomplis-tu tes oeuvres au hasard,
Sans raisonnable loi, ni
prévoyant génie?
Ou bien m'as-tu donné par cruelle ironie
Des
lèvres et des mains, l'ouïe et le regard?
Il est tant de saveurs dont je n'ai point ma part,
Tant de fruits à
cueillir que le sort me dénie!
Il voyage vers moi tant de flots
d'harmonie,
Tant de rayons, qui tous m'arriveront trop tard!
Et si je meurs sans voir mon idole inconnue,
Si sa lointaine voix ne
m'est point parvenue,
À quoi m'auront servi mon oreille et mes yeux?
À quoi m'aura servi ma main hors de la sienne?
Mes lèvres et mon
coeur, sans qu'elle m'appartienne?
Pourquoi vivre à demi quand le
néant vaut mieux?
LES AMOURS TERRESTRES
Nos yeux se sont croisés et nous nous sommes plu.
Née au siècle où
je vis et passant où je passe,
Dans le double infini du temps et de
l'espace
Tu ne me cherchais point, tu ne m'as point élu;
Moi, pour te joindre ici le jour qu'il a fallu,
Dans le monde éternel je
n'avais point ta trace,
J'ignorais ta naissance et le lieu de ta race:
Le
sort a donc tout fait, nous n'avons rien voulu.
Les terrestres amours ne sont qu'une aventure:
Ton époux à venir et
ma femme future
Soupirent vainement, et nous pleurons loin d'eux;
C'est lui que tu pressens en moi, qui lui ressemble,
Ce qui m'attire en
toi, c'est elle, et tous les deux
Nous croyons nous aimer en les
cherchant ensemble.
[Illustration]
L'ÉTRANGER
SONNET.
Je me dis bien souvent: De quelle race es-tu?
Ton coeur ne trouve
rien qui l'enchaîne ou ravisse,
Ta pensée et tes sens, rien qui les
assouvisse:
Il semble qu'un bonheur infini te soit dû.
Pourtant, quel paradis as-tu jamais perdu?
À quelle auguste cause
as-tu rendu service?
Pour ne voir ici-bas que laideur et que vice,
Quelle est la beauté propre et la propre vertu?
À mes vagues regrets d'un ciel que j'imagine,
À mes dégoûts divins, il
faut une origine:
Vainement je la cherche en mon coeur de limon,
Et, moi-même étonné des douleurs que j'exprime,
J'écoute en moi
pleurer un étranger sublime
Qui m'a toujours caché sa patrie et son
nom.
[Illustration]
LA VERTU
J'honore en secret la duègne
Que raillent tant de gens d'esprit,
La
Vertu; j'y crois, et dédaigne
De sourire quand on en rit.
Ah! souvent l'homme qui se moque
Est celui que point l'aiguillon,
Et tout bas l'incrédule invoque
L'objet de sa dérision.
Je suis trop fier pour me contraindre
À la grimace des railleurs,
Et
pas assez heureux pour plaindre
Ceux qui rêvent d'être meilleurs.
Je sens que toujours m'importune
Une loi que rien n'ébranla;
Le
monde (car il en faut une)
Parodie en vain celle-là;
Qu'il observe la règle inscrite
Dans les moeurs ou les parchemins,
Je hais sa rapine hypocrite,
Comme celle des grands chemins,
Je hais son droit, aveugle aux larmes,
Son honneur, qui lave un
affront
En mesurant bien les deux armes,
Non les deux bras qui les
tiendront,
Sa politesse meurtrière
Qui vous trahit en vous servant,
Et, pour
vous frapper par derrière,
Vous invite à passer devant.
Qu'un plaisant nargue la morale,
Qu'un fourbe la plie à son voeu,
Qu'un géomètre la ravale
À n'être que prudence au jeu,
Qu'un dogme leurre à sa manière
L'égoïsme du genre humain,
Ajournant à l'heure dernière
L'avide embrassement du gain,
Qu'un cynisme, agréable au crime,
Devant le muet Infini,
Voue au
néant ceux qu'on opprime,
Avec l'oppresseur impuni!
Toujours en nous parle sans phrase
Un devin du juste et du beau,
C'est le coeur, et dès qu'il s'embrase
Il devient de foyer flambeau:
Il n'est plus alors de problème,
D'arguments subtils à trouver,
On
palpe avec la torche même
Ce que les mots n'ont pu prouver.
Quand un homme insulte une femme,
Quand un père bat ses enfants,
La raison neutre assiste au drame
Mais le coeur crie au bras:
défends!
Aux lueurs du cerveau s'ajoute
L'éclair jailli du sein: l'amour!
Devant qui s'efface le doute
Comme un rôdeur louche au grand jour:
Alors la loi, la loi sans table,
Conforme à nos réelles fins,
S'impose
égale et charitable,
On forme des souhaits divins:
On voudrait être un Marc-Aurèle,
Accomplir le bien pour le bien,
Pratiquer la Vertu pour elle,
Sans jamais lui demander rien,
Hors la seule paix qui demeure
Et dont l'avénement soit sûr,
L'apothéose intérieure
Dont la conscience est l'azur!
Mais pourquoi, saluant ta tâche,
Inerte amant de la vertu,
Ô lâche,
lâche, triple lâche,
Ce que tu veux, ne le fais-tu?
LE TEMPS PERDU
SONNET.
Si peu d'oeuvres pour tant de fatigue et d'ennui!
De stériles soucis
notre journée est pleine:
Leur meute sans pitié nous chasse à perdre
haleine,
Nous pousse, nous dévore, et l'heure utile a
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