Les vaines tendresses | Page 3

Sully Prudhomme
ne voyais que vous au jeu
Parmi les autres;
Mes doigts frôlaient parfois les vôtres
Un peu...
Comme à la première visite
Faite au rosier,
Le papillon sans appuyer
Palpite,
Et de feuille en feuille, hésitant,
S'approche, et n'ose
Monter droit au miel que la rose

Lui tend,
Tremblant de ses premières fièvres
Mon coeur n'osait
Voler droit des doigts qu'il baisait
Aux lèvres.
Je sentais en moi tour à tour
Plaisir et peine,
Un mélange d'aise et de gêne:
L'amour.
L'amour à douze ans! Oui, madame,
Et vous aussi,
N'aviez-vous pas quelque souci
De femme?
Vous faisiez beaucoup d'embarras,
Très-occupée
De votre robe, une poupée
Au bras.
Si j'adorais, trop tôt poëte,
Vos petits pieds,
Trop tôt belle, vous me courbiez
La tête.
Nous menâmes si bien, un soir,
Le badinage,
Que nous nous mîmes en ménage,
Pour voir.
Vous parliez des bijoux de noces,

Moi du serment,
Car nous étions différemment
Précoces.
On fit la dînette, on dansa;
Vous prétendîtes
Qu'il n'est noces proprement dites
Sans ça.
Vous goûtiez la plaisanterie
Tant que bientôt
J'osai vous appeler tout haut:
Chérie,
Et je vous ai (car je rêvais)
Baisé la joue;
Depuis ce soir-là je ne joue
Jamais.
[Illustration]
AUX TUILERIES
Tu les feras pleurer, enfant belle et chérie,
Tous ces bambins, hommes futurs,
Qui plus tard suspendront leur
jeune rêverie
Aux cils câlins de tes yeux purs.
Ils aiment de ta voix la roulade sonore,
Mais plus tard ils sentiront mieux
Ce qu'ils peuvent à peine y
discerner encore,
Le timbre au charme impérieux;

Ils touchent, sans jamais en sentir de brûlure,
Tes boucles pleines de rayons,
Dont l'or fait ressembler ta fauve
chevelure
À celle des petits lions.
Ils ne devinent pas, aux jeux où tu te mêles,
Qu'en leur jetant au cou tes bras,
Rieuse, indifférente, et douce, tu
décèles
Tout le mal que tu leur feras.
Tu t'exerces déjà, quand tu crois que tu joues
En leur abandonnant ton front;
Tes lèvres ont déjà, plus faites que tes
joues,
La grâce dont ils souffriront.
[Illustration]
[Illustration]
L'AMOUR MATERNEL
à MAURICE CHÉVRIER
Fait d'héroïsme et de clémence,
Présent toujours au moindre appel,

Qui de nous peut dire où commence,
Où finit l'amour maternel!
Il n'attend pas qu'on le mérite,
Il plane en deuil sur les ingrats;

Lorsque le père déshérite
La mère laisse ouverts ses bras;
Son crédule dévoûment reste
Quand les plus vrais nous ont menti,

Si téméraire et si modeste
Qu'il s'ignore et n'est pas senti.

Pour nous suivre il monte ou s'abîme,
À nos revers toujours égal,

Ou si profond ou si sublime
Que sans maître il est sans rival:
Est-il de retraite plus douce
Qu'un sein de mère, et quel abri

Recueille avec moins de secousse
Un coeur fragile endolori?
Quel est l'ami qui sans colère
Se voit pour d'autres négligé?
Qu'on
méconnaît sans lui déplaire,
Si bon qu'il n'en soit qu'affligé?
Quel ami dans un précipice
Nous joint sans espoir de retour,
Et ne
sent quelque sacrifice
Où la mère ne sent qu'amour?
Lequel n'espère un avantage
Des échanges de l'amitié?
Que de fois
la mère partage
Et ne garde pas sa moitié!
Ô mère, unique Danaïde
Dont le zèle soit sans déclin,
Et qui, sans
maudire le vide,
Y penche un grand coeur toujours plein!
[Illustration]
[Illustration]
L'ÉPOUSÉE
Elle est fragile à caresser,
L'Épousée au front diaphane,
Lis pur
qu'un rien ternit et fane,
Lis tendre qu'un rien peut froisser,
Que nul
homme ne peut presser,
Sans remords, sur son coeur profane.
La main digne de l'approcher
N'est pas la main rude qui brise

L'innocence qu'elle a surprise
Et se fait jeu d'effaroucher,
Mais la
main qui semble toucher
Au blanc voile comme une brise;
La lèvre qui la doit baiser
N'est pas la lèvre véhémente,
Effroi d'une
novice amante
Qui veut le respect pour oser,
Mais celle qui se vient
poser
Comme une ombre d'abeille errante.

Et les bras faits pour l'embrasser,
Ne sont pas les bras dont l'étreinte

Laisse une impérieuse empreinte
Au corps qu'ils aiment à lasser,

Mais ceux qui savent l'enlacer
Comme une onde où l'on dort sans
crainte.
L'hymen doit la discipliner
Sans lire sur son front un blâme,
Et les
prémices qu'il réclame
Les faire à son coeur deviner:
Elle est fleur,
il doit l'incliner,
La chérir sans lui troubler l'âme.
[Illustration]
[Illustration]
DISTRACTION
À mon insu j'ai dit: «ma chère»
Pour «madame», et, parti du coeur,

Ce nom m'a fait d'une étrangère
Une soeur.
Quand la femme est tendre, pour elle
Le seul vrai gage de l'amour,

C'est la constance naturelle,
Non la cour;
Ce n'est pas le mot qu'on hasarde,
Et qu'on sauve s'il s'est trompé,

C'est le mot simple, par mégarde
Échappé...
Ce n'est pas le mot qui soupire,
Mendiant drapé d'un linceul,
C'est
ce qu'on dit comme on respire,
Pour soi seul.
Ce n'est pas non plus de se taire,
Taire est encor mentir un peu;

C'est la parole involontaire,

Non l'aveu.
À mon insu j'ai dit: «ma chère»
Pour «madame», et, parti du coeur,

Ce nom m'a fait d'une étrangère
Une soeur.
[Illustration]
INVITATION À LA VALSE
SONNET.
C'était une amitié simple et pourtant secrète:
J'avais sur sa parure un
fraternel pouvoir,
Et quand au seuil d'un bal nous nous trouvions le
soir,
J'aimais à l'arrêter devant moi toute prête.
Elle abattait sa jupe en renversant la tête,
Et consultait mes
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 16
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.