je la cherche en mon coeur de limon,
Et, moi-même étonné des douleurs que j'exprime,?J'écoute en moi pleurer un étranger sublime?Qui m'a toujours caché sa patrie et son nom.
[Illustration]
LA VERTU
J'honore en secret la duègne?Que raillent tant de gens d'esprit,?La Vertu; j'y crois, et dédaigne?De sourire quand on en rit.
Ah! souvent l'homme qui se moque?Est celui que point l'aiguillon,?Et tout bas l'incrédule invoque?L'objet de sa dérision.
Je suis trop fier pour me contraindre?à la grimace des railleurs,?Et pas assez heureux pour plaindre?Ceux qui rêvent d'être meilleurs.
Je sens que toujours m'importune?Une loi que rien n'ébranla;?Le monde (car il en faut une)?Parodie en vain celle-là;
Qu'il observe la règle inscrite?Dans les moeurs ou les parchemins,?Je hais sa rapine hypocrite,?Comme celle des grands chemins,
Je hais son droit, aveugle aux larmes,?Son honneur, qui lave un affront?En mesurant bien les deux armes,?Non les deux bras qui les tiendront,
Sa politesse meurtrière?Qui vous trahit en vous servant,?Et, pour vous frapper par derrière,?Vous invite à passer devant.
Qu'un plaisant nargue la morale,?Qu'un fourbe la plie à son voeu,?Qu'un géomètre la ravale?à n'être que prudence au jeu,
Qu'un dogme leurre à sa manière?L'égo?sme du genre humain,?Ajournant à l'heure dernière?L'avide embrassement du gain,
Qu'un cynisme, agréable au crime,?Devant le muet Infini,?Voue au néant ceux qu'on opprime,?Avec l'oppresseur impuni!
Toujours en nous parle sans phrase?Un devin du juste et du beau,?C'est le coeur, et dès qu'il s'embrase?Il devient de foyer flambeau:
Il n'est plus alors de problème,?D'arguments subtils à trouver,?On palpe avec la torche même?Ce que les mots n'ont pu prouver.
Quand un homme insulte une femme,?Quand un père bat ses enfants,?La raison neutre assiste au drame?Mais le coeur crie au bras: défends!
Aux lueurs du cerveau s'ajoute?L'éclair jailli du sein: l'amour!?Devant qui s'efface le doute?Comme un r?deur louche au grand jour:
Alors la loi, la loi sans table,?Conforme à nos réelles fins,?S'impose égale et charitable,?On forme des souhaits divins:
On voudrait être un Marc-Aurèle,?Accomplir le bien pour le bien,?Pratiquer la Vertu pour elle,?Sans jamais lui demander rien,
Hors la seule paix qui demeure?Et dont l'avénement soit s?r,?L'apothéose intérieure?Dont la conscience est l'azur!
Mais pourquoi, saluant ta tache,?Inerte amant de la vertu,?? lache, lache, triple lache,?Ce que tu veux, ne le fais-tu?
LE TEMPS PERDU
SONNET.
Si peu d'oeuvres pour tant de fatigue et d'ennui!?De stériles soucis notre journée est pleine:?Leur meute sans pitié nous chasse à perdre haleine,?Nous pousse, nous dévore, et l'heure utile a fui...
?Demain! j'irai demain voir ce pauvre chez lui,??Demain je reprendrai ce livre ouvert à peine,??Demain, je te dirai, mon ame, où je te mène,??Demain je serai juste et fort... Pas aujourd'hui.?
Aujourd'hui, que de soins, de pas et de visites!?Oh! l'implacable essaim des devoirs parasites?Qui pullulent autour de nos tasses de thé!
Ainsi ch?ment le coeur, la pensée et le livre,?Et pendant qu'on se tue à différer de vivre,?Le vrai devoir dans l'ombre attend la volonté.
[Illustration]
LES FILS
SONNET.
Toi que tes grands a?eux, du fond de leur sommeil,?Accablent sous le poids d'une illustre mémoire,?Tu n'auras pas senti ton nom dans la nuit noire?éclore, et comme une aube y faire un point vermeil!
Je te plains, car peut-être à tes a?eux pareil,?Tu les vaux, mais le monde ébloui n'y peut croire:?Ton mérite rayonne indistinct dans leur gloire,?Satellite ab?mé dans l'éclat d'un soleil.
Ah! l'enfant dont la souche est dans l'ombre perdue,?Peut du moins arracher au séculaire oubli?Le nom qu'il y ramasse encore enseveli;
Dans la durée immense et l'immense étendue?Son étoile, qui perce où d'autres ont pali,?Peut luire par soi-même et n'est point confondue!
[Illustration]
[Illustration]
LE CONSCRIT.
A la barrière de l'étoile,?Un saltimbanque malfaisant?Dressait, dans sa baraque en toile,?Un chien de six mois fort plaisant.
Ce caniche, qui faisait rire?Le public au seuil rassemblé,?était en conscrit de l'Empire?Misérablement affublé.
Coiffé d'un bonnet de police,?Il restait là, fusil au flanc,?Debout, les jambes au supplice?Dans un piteux pantalon blanc;
Le dos sous sa guenille bleue,?Il tentait un regard vainqueur,?Mais l'anxiété de sa queue?Trahissait l'état de son coeur.
Quand las de sa fausse posture?Le pauvre petit chien savant?Retombait, selon la nature,?Sur ses deux pattes de devant,
Il recevait une apre insulte?Avec un lache coup de fouet,?Mais, digne sous son poil inculte,?Sans crier il se secouait;
Tandis qu'il étreignait son arme?Sous les horions sans broncher,?S'il se sentait poindre une larme,?Il s'effor?ait de la lécher.
Ce qu'on trouvait surtout risible,?Et ce que j'admirais beaucoup,?C'est qu'il avait l'air plus sensible?Au reproche qu'au mauvais coup.
Son ma?tre, pour sa part de lucre,?Lui posait sur le bout du nez?De vacillants morceaux de sucre,?Plus souvent promis que donnés.
Touché de voir dans ce novice?Tant de vrai zèle à si bas prix,?Quand à la fin de son service?Il rompit les rangs, je le pris.
Or, comme je tenais la bête?Par les oreilles, des deux mains,?L'élevant à hauteur de tête?Pour lire en ses yeux presque humains,
L'expression m'en parut double,?J'y sentais deux soucis jumeaux,?Comme dans l'histrion que trouble?L'obsession de ses vrais maux.
Un génie excédant sa taille?Me semblait étouffer en lui,?Et du vieil habit de bataille?Forcer le dérisoire étui.
Et j'eus l'illusion fantasque?Que par les yeux de ce roquet?Comme à travers les trous d'un masque,?Un regard d'homme m'invoquait...
Cet
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