Les vaines tendresses | Page 3

Sully Prudhomme
go?tiez la plaisanterie
Tant que bient?t?J'osai vous appeler tout haut:
Chérie,
Et je vous ai (car je rêvais)
Baisé la joue;?Depuis ce soir-là je ne joue
Jamais.
[Illustration]
AUX TUILERIES
Tu les feras pleurer, enfant belle et chérie,
Tous ces bambins, hommes futurs,?Qui plus tard suspendront leur jeune rêverie
Aux cils calins de tes yeux purs.
Ils aiment de ta voix la roulade sonore,
Mais plus tard ils sentiront mieux?Ce qu'ils peuvent à peine y discerner encore,
Le timbre au charme impérieux;
Ils touchent, sans jamais en sentir de br?lure,
Tes boucles pleines de rayons,?Dont l'or fait ressembler ta fauve chevelure
à celle des petits lions.
Ils ne devinent pas, aux jeux où tu te mêles,
Qu'en leur jetant au cou tes bras,?Rieuse, indifférente, et douce, tu décèles
Tout le mal que tu leur feras.
Tu t'exerces déjà, quand tu crois que tu joues
En leur abandonnant ton front;?Tes lèvres ont déjà, plus faites que tes joues,
La grace dont ils souffriront.
[Illustration]
[Illustration]
L'AMOUR MATERNEL
à MAURICE CHéVRIER
Fait d'héro?sme et de clémence,?Présent toujours au moindre appel,?Qui de nous peut dire où commence,?Où finit l'amour maternel!
Il n'attend pas qu'on le mérite,?Il plane en deuil sur les ingrats;?Lorsque le père déshérite?La mère laisse ouverts ses bras;
Son crédule dévo?ment reste?Quand les plus vrais nous ont menti,?Si téméraire et si modeste?Qu'il s'ignore et n'est pas senti.
Pour nous suivre il monte ou s'ab?me,?à nos revers toujours égal,?Ou si profond ou si sublime?Que sans ma?tre il est sans rival:
Est-il de retraite plus douce?Qu'un sein de mère, et quel abri?Recueille avec moins de secousse?Un coeur fragile endolori?
Quel est l'ami qui sans colère?Se voit pour d'autres négligé??Qu'on méconna?t sans lui déplaire,?Si bon qu'il n'en soit qu'affligé?
Quel ami dans un précipice?Nous joint sans espoir de retour,?Et ne sent quelque sacrifice?Où la mère ne sent qu'amour?
Lequel n'espère un avantage?Des échanges de l'amitié??Que de fois la mère partage?Et ne garde pas sa moitié!
? mère, unique Dana?de?Dont le zèle soit sans déclin,?Et qui, sans maudire le vide,?Y penche un grand coeur toujours plein!
[Illustration]
[Illustration]
L'éPOUSéE
Elle est fragile à caresser,?L'épousée au front diaphane,?Lis pur qu'un rien ternit et fane,?Lis tendre qu'un rien peut froisser,?Que nul homme ne peut presser,?Sans remords, sur son coeur profane.
La main digne de l'approcher?N'est pas la main rude qui brise?L'innocence qu'elle a surprise?Et se fait jeu d'effaroucher,?Mais la main qui semble toucher?Au blanc voile comme une brise;
La lèvre qui la doit baiser?N'est pas la lèvre véhémente,?Effroi d'une novice amante?Qui veut le respect pour oser,?Mais celle qui se vient poser?Comme une ombre d'abeille errante.
Et les bras faits pour l'embrasser,?Ne sont pas les bras dont l'étreinte?Laisse une impérieuse empreinte?Au corps qu'ils aiment à lasser,?Mais ceux qui savent l'enlacer?Comme une onde où l'on dort sans crainte.
L'hymen doit la discipliner?Sans lire sur son front un blame,?Et les prémices qu'il réclame?Les faire à son coeur deviner:?Elle est fleur, il doit l'incliner,?La chérir sans lui troubler l'ame.
[Illustration]
[Illustration]
DISTRACTION
à mon insu j'ai dit: ?ma chère??Pour ?madame?, et, parti du coeur,?Ce nom m'a fait d'une étrangère
Une soeur.
Quand la femme est tendre, pour elle?Le seul vrai gage de l'amour,?C'est la constance naturelle,
Non la cour;
Ce n'est pas le mot qu'on hasarde,?Et qu'on sauve s'il s'est trompé,?C'est le mot simple, par mégarde
échappé...
Ce n'est pas le mot qui soupire,?Mendiant drapé d'un linceul,?C'est ce qu'on dit comme on respire,
Pour soi seul.
Ce n'est pas non plus de se taire,?Taire est encor mentir un peu;?C'est la parole involontaire,
Non l'aveu.
à mon insu j'ai dit: ?ma chère??Pour ?madame?, et, parti du coeur,?Ce nom m'a fait d'une étrangère
Une soeur.
[Illustration]
INVITATION à LA VALSE
SONNET.
C'était une amitié simple et pourtant secrète:?J'avais sur sa parure un fraternel pouvoir,?Et quand au seuil d'un bal nous nous trouvions le soir,?J'aimais à l'arrêter devant moi toute prête.
Elle abattait sa jupe en renversant la tête,?Et consultait mes yeux comme un dernier miroir,?Puis elle me glissait un furtif: ?Au revoir!??Et belle, en souveraine, elle entrait dans la fête.
Je l'y suivais bient?t. Sur un signe connu,?Parmi les mendiants que sa malice affame,?Je m'avan?ais vers elle, et modeste, ingénu:
?Vous m'avez accordé cette valse, madame???J'avais l'air de prier n'importe quelle femme,?Elle me disait: ?Oui? comme au premier venu.
[Illustration]
[Illustration]
CE QUI DURE
Le présent se fait vide et triste,?? mon amie, autour de nous;?Combien peu du passé subsiste!?Et ceux qui restent changent tous:
Nous ne voyons plus sans envie?Les yeux de vingt ans resplendir,?Et combien sont déjà sans vie?Des yeux qui nous ont vus grandir!
Que de jeunesse emporte l'heure,?Qui n'en rapporte jamais rien!?Pourtant quelque chose demeure:?Je t'aime avec mon coeur ancien,
Mon vrai coeur, celui qui s'attache?Et souffre depuis qu'il est né,?Mon coeur d'enfant, le coeur sans tache?Que ma mère m'avait donné;
Ce coeur où plus rien ne pénètre,?D'où plus rien désormais ne sort;?Je t'aime avec ce que mon être?A de plus fort contre la mort;
Et, s'il peut braver la mort même,?Si le meilleur de l'homme est tel?Que rien n'en périsse, je t'aime?Avec ce que j'ai d'immortel.
[Illustration]
UN RENDEZ-VOUS
Dans ce nid furtif où nous sommes,?? ma chère ame, seuls tous deux,?Qu'il est bon d'oublier les hommes,
Si près d'eux.
Pour ralentir l'heure fuyante,?Pour la go?ter, il ne faut pas?Une félicité bruyante,
Parlons bas;
Craignons de la hater d'un
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 15
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.