Les tendres ménages | Page 7

Paul Jean Toulet
pour ainsi dire physiques de notre
planète, elle s'attache encore aux moeurs et à la coutume des hommes,
se recommande, mieux encore que la mythologie, à la faveur des jeunes
personnes, par la pureté comme par la variété de son discours, en
sorte...» Et Sylvère respira.
Ils étaient arrivés près du Port Vieux. Par l'échancrure on voyait la mer,
d'un bleu profond, palpiter sous un ciel plus pâle. La bonne odeur du
sel remplissait l'air. Ils descendirent jusqu'au creux de la petite plage,
s'assirent à l'ombre.
Autour d'eux des enfants faisaient des pâtés de sable. Plus loin, un abbé
espagnol, l'air carliste, causait avec une institutrice allemande: celle-ci,
par intervalles, se levait, marchait sur une paisible petite fille en rose
qui jouait à quelques pas de là, et l'apostrophait d'objurgations
gutturales en la secouant par l'épaule.
--D'ailleurs, dit Mariolles en reprenant la conversation d'un peu plus
haut, je ne veux pas vous faire de reproches sur votre danse, puisqu'elle
m'a valu un peu de vous connaître, vous vous rappelez, à ce bal
d'officiers?

--Si je me rappelle, fait Sylvère en haussant les épaules. Et puis, Tony,
ce n'est pas là que vous m'avez connue, puisque c'est depuis toute
petite.
--Oui, mais c'est là que je remarquai, pour la première fois, combien
vous aviez changé depuis jadis, au jardin de votre grand'mère, quand je
vous faisais sauter sur mes genoux, et que les tilleuls nous pleuvaient
dessus ces petites fleurs qui tournent, qui tournent. J'étais en costume
de marin, je pense, avec un grand col, vous en chemisette tout
court,--toute courte, et qui poussiez des cris de souris blanche.
--C'est singulier, dit Sylvère d'un air rêveur, combien il y a de gens qui
vous ont fait sauter sur leurs genoux, et avec qui...
--Avec qui on ne voudrait pas recommencer. Je vous remercie.
--Mais il me semble... dit la jeune femme.
Elle se tait tout d'un coup, comme si elle allait dire une sottise, rougit,
et promène autour d'elle des regards troublés. Elle contemple sans les
voir, le ciel et la mer devenus d'un saphir plus obscur, les ombres qui
s'allongent. C'est l'heure du bain.
A ce moment passe près d'eux une assez belle personne, vêtue d'un de
ces horribles costumes de louage qui semble faits de toile goudronnée.
--S'il est possible, fait Mariolles, de se fagoter comme ça... C'est
dommage: elle n'est pas si mal faite. Voyez ses jambes; fines,
nerveuses...
Et Tony fait des yeux d'homme pas marié. Ceux de Sylvère, un instant,
comme la mer, s'obscurcissent; et elle n'est plus rouge du tout.
--Vous connaissez cette baigneuse, que vous la regardez comme ça?
Sa voix aussi est un peu changée. Tony n'a pas de peine à démêler en
elle la première et passagère atteinte de la jalousie. Et Tony, avec la
sottise de son sexe, y prend plaisir. C'est avec un gracieux sourire qu'il

répond:
--Je ne la connais pas, mais je déplore qu'elle ait un costume si mal fait
et si long.
--Vous voudriez qu'elle fût toute nue, peut être?
--Sylvère!
--Puisque je sais maintenant les costumes qui vous plaisent, vous verrez
comment je me baignerai.
--Je ne pense pas, dit Mariolles d'un air moins gai que tout à l'heure,
que vous preniez des bains de mer à Biarritz.
--Et pourquoi pas moi, Tony? Est-ce que je suis difforme, ou si vous
avez peur que je me noie?
--J'ai peur qu'on vous regarde. Pensez comme je vais vous laisser
défiler devant des paquets de gens, dans ces costumes de Cafrine!
--Tantôt vous le trouviez trop long.
--Mais ce n'est pas la même chose, fait Mariolles rageusement: il sent
bien qu'il n'a plus «le meilleur».
C'est leur première querelle, et il y a plus encore de surprise que
d'hostilité dans leurs regards. C'est comme s'ils découvraient chacun
dans l'autre une bête inconnue, qui gronde.
--Voulez-vous me raccompagner à l'hôtel, dit enfin Sylvère.
Ils remontent à petits pas, sans plus mot dire, tout près pourtant l'un de
l'autre.
C'est ce jour-là même qu'on a fini par tomber sur les San Buscar, un
peu après le coucher du soleil, quand les gens qui se promènent sur le
quai de la Grande Plage ont l'air de fantômes bleus.

Mme de San Buscar est si cordialement aimable pour Sylvère qu'elle
fait penser au yours faithfully des fins de lettres. Quant à Mariolles, il y
a eu d'abord, dans son attitude, une nuance presque imperceptible de
gêne; mais lui aussi se dégèle, et il naît le plus naturellement du monde,
de tout cela, un petit projet de dîner à quatre au Grand Cercle.
--Ça n'est pas, dit Mme de San Buscar, que la cuisine y soit excellente.
Elle n'est pas excellente. Mais la terrasse est tout à fait agréable, avec
les petites bougies.
--Et les papillons, fait son mari.
--C'est très joli aussi, les papillons--quand ils
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