Les tendres ménages | Page 5

Paul Jean Toulet
petit sermon en fran?ais. Il est ému, il s'embrouille, tourne court, et fait un signe à l'instituteur, qui entonne formidablement un credo de grand'messe; en sorte que les verrières, qui ne sont pas habituées sur semaine à un tel vacarme, frissonnent de peur dans leurs plombs et se disent:
--Cette fois-ci, il va nous casser.
Et, la messe finie, on se rend à la sacristie pour chercher le curé. Du plus loin qu'il aper?oit la jeune femme, il s'écrie, avec l'honnête accent des Pyrénées:
--Eh bien, Mademoiselle Sylvère, ?a va toujours bien. Et comment avez-vous passé la nuit?

II
L'ODEUR DES PLAGES
(La scène est à Biarritz, quelque temps après.)
Voilà plusieurs heures que M. et Mme de Mariolles-Sainte-Mary ont laissé Hargou?t se dissiper à l'horizon, avec la montagne. Pau, blanche et grise, habillée de feuillages divers, s'est déroulée le long de la voie.--Orthez a fait montre de son pont, dont les guides illustrés abusent un peu, vraiment. Mais Francis Jammes n'était pas à la gare, ni sa pipe; et peut-être est-il à rêver de Guadeloupe sous quelqu'un de ces érables auxquels il se pla?t à prêter le nom magnifique et barbare de liquidambars. En sorte que la gare est triste, sillonnée de rares figurants.
D'autres gares, inutiles aussi, se suivent: il y en a qui sont tout au bord de l'Adour, où l'on voit des gens qui jettent des filets, et de grands arbres dans les ?les. Enfin, on aper?oit Bayonne, les deux clochers blancs d'une cathédrale haut perchée, des glacis, des contrescarpes. Le train semble tourner autour, faire exprès de s'arrêter, en des lieux tellement déserts que le chef de gare, évidemment, y est mort, lui aussi, sans avoir pu vendre un seul billet depuis l'Empire. Et on ne l'a pas remplacé.
Contre toute vraisemblance, quelqu'un monte, salue avec un air de connaissance. C'est un monsieur assez jeune, en costume de chasse, avec des belles moustaches couleur cirage. Mariolles n'a eu d'abord l'air satisfait qu'à moitié. (?Saleté, pense-t-il, de Compagnie, qui ne met pas de coupés à ses trains omnibus.?) Mais il se rassérène presque aussit?t. Somme toute, un tiers ne messied point, après plusieurs semaines d'un bonheur en tête-à-tête, à peine coupé de quelques beaux-parents. (Et encore, on ne pouvait même pas les garder à d?ner: ils s'en allaient tout de suite, avec un air gêné et de croire qu'on n'attendait que leurs talons pour se remettre au lit.)
Mariolles présente le monsieur:
--Ma chère amie, le comte de San Buscar. Vous avez d? apprendre mon mariage, demande-t-il.
--Certainement, mon cher ami. Toutes mes plus sincères félicitations.
San Buscar dissimule mal, sur sa grosse figure, en regardant Sylvère, cette pensée commune aux hommes qui rencontrent de nouveaux mariés: ?Si je pouvais être le premier avec qui elle le trompera!?
--Vous venez de la chasse, Monsieur?
--Si, justement. J'ai été tuer quelques sarcelles sur la Nive.
Et, s'adressant à Mariolles, en ouvrant les bras:
--On prend ce qu'on trouve. Il n'y a pas de gibier dans votre pays, mon cher. Je voudrais que vous vissiez ?a, dans l'Amérique: c'est une chose extraordinaire.
--Il y a peut-être moins de chasseurs. A part cela, que devenez-vous? En gar?on, à Biarritz?
--Mais non, mais non. La comtesse, elle est là aussi.
--(?Tiens, se dit Sylvère, tiens; tiens: la comtesse est là.? Et si elle n'ajoute pas dans son for intérieur: ?Chouette, on va rigoler?, c'est que ces expressions ne lui sont point familières.)
--Elle sera bien heureuse, ajoute San Buscar, de conna?tre Madame la baronne de Mariolles.
?Madame la baronne de Mariolles? s'incline avec un sourire, et Monsieur répond sans enthousiasme apparent:
--Certainement, nous serons bien honorés, quoique nous ne passions que quelques jours; et puis, vous savez, San Buscar, une jeune mariée, ?a ne sort pas beaucoup.
--Tout de même, proteste tendrement Sylvère, vous ne comptez pas me laisser sous clef à l'h?tel, tandis que vous serez sur la plage?
--Et puis, mon cher, reprend l'étranger, si vous saviez comme Imogène est revenue du monde. Il y a deux mois, je parie, qu'elle n'a fait un boston ou une partie de tennis. Les Américaines, ?a s'ennuie de tout, à un moment donné. Nous vivons comme deux bourgeois, aujourd'hui.
--?a doit être bien amusant, dit Sylvère, pour dire quelque chose. Est-ce que Madame de... San Buscar reprise ses bas, avec un gros oeuf en buis, comme on nous faisait faire au couvent?
Dans son excessive hilarité, San Buscar met au jour des dents sans nombre. Il a l'air alors d'un crocodile qui ne serait pas dangereux, de ce pauvre crocodile sacré dont parle Hérodote, qui portait des bracelets d'or aux pattes de devant, des anneaux de terre émaillée aux oreilles, et qui, ce jour-là, n'avait plus faim: ?Il était couché sur le bord du lac: les prêtres vinrent. Deux d'entre eux lui ouvrirent la gueule; un troisième lui jeta d'abord les gateaux, ensuite la friture et finit par la boisson. Sur quoi le crocodile (très embêté) plongea et
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