Les petits vagabonds | Page 3

Jeanne Marcel
qui connaissaient les bons endroits, étaient venus, dans l'espoir de faire une recette fabuleuse, se placer à la grille des Tuileries qui ouvre sur la rue Castiglione. Mais à peine s'y trouvaient-ils depuis un quart d'heure que, entra?nés par les go?ts de leur age, ils oublièrent la chasse des petits sous pour regarder les enfants qui couraient dans le jardin. Les deux paniers de roses et de muguet gisaient sans plus de fa?on sur le trottoir; quant à leurs propriétaires, ils suivaient avec un vif intérêt les parties qui se jouaient de l'autre c?té de la grille. Ils étaient si complétement absorbés dans leur contemplation qu'ils ne virent point descendre de voiture, à quelques pas d'eux, une jeune et belle dame, laquelle vint droit à César et lui dit en lui glissant quelque chose dans la main: ?Prenez ceci et priez Dieu pour qu'il rende la santé à un pauvre enfant dont la mère ne pourrait supporter la perte.?
Mes amis (souffrez que je leur donne ce titre), mes amis stupéfaits n'eurent pas même assez de présence d'esprit pour remercier la jeune dame, qui, du reste, s'était promptement éloignée.
?Que t'a-t-elle donné, César? demanda Aimée.
--Tiens, fit César en ouvrant la main, voilà! Je crois bien que c'est une pièce d'or.
--Une pièce d'or?
--Oui, comme on en voit chez les changeurs.
--Montre un peu.... Oh! que c'est joli une pièce d'or!... Mais elle est bien petite, sais-tu?
--Oh! cela ne fait rien.
--Elle est bonne tout de même, n'est-ce pas?
--Parbleu!... On dirait une pièce de vingt francs.
--Vingt francs!... Montre encore!... Combien cela fait-il de sous, vingt francs?
--Oh! je ne sais pas au juste, mais beaucoup, beaucoup, plein ton panier peut-être!...
[Illustration: ?Prenez ceci et priez Dieu?.]
--Tant que cela?
--Pour le moins.
--Et que peut-on acheter avec un panier de sous?
--Tout ce qu'on veut, je pense.
--Vrai, César?... Alors nous sommes riches?
--Bien s?r que nous le sommes.... A moins pourtant que la dame ne se soit trompée.
--Comment donc?
--Eh bien, oui, qu'elle ne nous ait donné cela pour une pièce de cinq centimes.
--Le penses-tu?
--Dame! je ne sais pas.... mais cependant cela pourrait bien être.
--Comment faire alors?
--Chercher la dame et lui rendre la pièce.
--Oh! ce serait dommage.... J'étais déjà si contente d'être riche!... D'ailleurs, comment veux-tu retrouver au milieu de tant de monde une personne que tu n'as fait qu'entrevoir?
--Je la reconna?trai bien, que cela ne t'inquiète pas, viens.
--Allons!... puisque tu le veux.
--Et toi, tu ne le veux donc pas?
--Si fait.... Je serais heureuse de posséder beaucoup d'argent, mais je ne voudrais pas garder une pièce d'or qui ne m'appartiendrait pas....
--A la bonne heure!?
Malgré une persévérance et une bonne volonté fort louables, les deux enfants ne trouvèrent point la dame à la pièce d'or.
?Je l'avais bien dit, fit Aimée en se laissant tomber avec découragement sur un banc de pierre dans la partie la plus déserte du jardin.
--Nous reviendrons demain, répondit César.
--Alors tu ne donneras pas la pièce à Joseph?
--Non. Et toi, Aimée, tu ne lui parleras pas de cela, à Joseph.
--Pourquoi?
--Ne le connais-tu donc pas? il prendrait les vingt francs et les garderait sans s'assurer davantage qu'ils sont bien à lui.
--A propos, que t'a-t-elle dit, la dame?
--Elle m'a recommandé de prier Dieu pour qu'il rende la santé à un enfant malade.
--Et tu le feras?
--Sans doute.
--Même avant de savoir si la pièce d'or est à nous?
--Qu'importe!
--Mais comment?
--Comment?
--Oui, que lui diras-tu, au bon Dieu? Comment t'y prendras-tu pour le prier?
--écoute, fit César comme en cherchant à se rappeler....
--Tu ne sais pas?
--Non, je ne sais plus prier le bon Dieu.
--Tu l'as donc su?
--Au fait, non, je ne l'ai jamais su;... qui me l'aurait appris?
--Dis-donc, où le voit-on, le bon Dieu?
--Dans les églises.
--Vrai?... Qui te l'a dit?
--Personne.... Mais c'est dans les églises, j'en réponds. Si tu veux, nous irons voir demain?
--Pourquoi pas tout de suite?
--Il est trop tard. A cette heure l'église est déserte, il y fait sombre et tu aurais peur.
--Tu as donc été dans une église, toi, César?
--Je ne m'en souviens pas.
--On le dirait. Moi, je trouve bien extraordinaire que tu te souviennes comme cela de choses que tu n'as point vues.?
César et Aimée arrivèrent ce soir-là les premiers au logis; Joseph s'était, selon toute apparence, oublié au cabaret. C'était si bien dans ses habitudes qu'ils n'en parurent même pas surpris. N'ayant rien de mieux à faire en attendant qu'il lui pl?t de rentrer, ils s'accroupirent sur leurs talons dans un coin de la chambre, et là, dans l'obscurité, s'occupèrent joyeusement à batir des chateaux en Espagne. Avec la pièce d'or (en supposant qu'elle f?t à lui et à Aimée) César achetait immédiatement des livres, et allait à l'école où il travaillait si bien qu'au bout de très-peu de temps, six mois au plus grand mot, il en sortait le plus savant de toute la classe. Alors il apprenait un état qui le faisait vivre honorablement, ainsi que sa soeur. Ce n'était pas plus difficile
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