Les petits vagabonds | Page 5

Jeanne Marcel
en
tabatière--que Joseph avait oublié de fermer le soir précédent, ils
remarquèrent que le ciel était pur et virent, pour la première fois cette
année-là, des hirondelles aller et venir tout affairées sur les toits. Cela
leur fit pronostiquer qu'on était enfin débarrassé des frimats et que la
belle saison était définitivement arrivée. Ce leur fut une douce
consolation, et bientôt l'espoir vint sécher leurs larmes et leur montrer
l'avenir sous un aspect plus heureux. Ils se vêtirent, c'est-à-dire qu'ils
rajustèrent tant bien que mal leurs habits sur leurs épaules, puis, après

s'être consultés, décidèrent qu'ils sortiraient comme les autres jours,
bien que Joseph n'eût point préparé leur provision quotidienne de
fleurs.
Ils se dirigèrent vers le centre de Paris, cheminant comme ils en avaient
l'habitude en se donnant la main. Balthasar les suivit. C'était la
première fois que le brave chien les accompagnait, et cela les ravissait
de le voir gambader autour d'eux; car dans sa joie, Balthasar oubliant
qu'il était vieux, sautait et folâtrait avec la fougue et l'entrain de la
jeunesse.
On descendit comme cela le jardin du Luxembourg, en faisant un
détour pour visiter la pépinière, où la végétation, plus hâtive que dans
les autres parties du jardin, offrait déjà aux yeux ravis de nos petits
promeneurs une assez grande variété de fleurs, que faisait
admirablement ressortir la verdure d'avril, si belle à voir en sa fraîcheur
et sa jeunesse. César et Aimée, d'ailleurs, se plaisaient au milieu de ces
arbustes presque tous indigènes, ou, du moins, qu'une longue
acclimatation nous a rendus familiers. Ils en savaient les noms; c'étaient
d'anciens amis. Ils aimaient aussi à voir les pêchers, les poiriers, les
cerisiers, les amandiers se couvrir de fleurs; puis à considérer comment,
en quelques mois, se formaient et mûrissaient les belles grappes de
raisin qu'on apercevait au milieu du feuillage épais et dentelé de la
vigne.
L'aspect de toutes ces choses, aussi belles qu'intéressantes, faisait rêver
César; il lui semblait toujours qu'il les connaissait de longue date et
pour les avoir vues ailleurs qu'à Paris.
Mes amis étaient fort au courant des différentes époques où mûrissaient
les fruits de la pépinière, car tous les matins ils venaient les admirer, les
convoiter peut-être, et juger des progrès qu'ils faisaient d'un jour à
l'autre.
Ils savaient aussi que l'hiver était proche quand les arbres, dépouillés de
leur récolte et n'ayant plus rien à abriter, laissaient tristement tomber
leurs feuilles. César et Aimée n'aimaient point à voir la terre jonchée de
ces débris de feuillages, que, contrairement aux autres enfants, ils ne

prenaient aucun plaisir à écraser en les faisant crier sous la semelle de
leurs souliers. Mais à l'époque dont je parle, le printemps commençait à
peine et les deux enfants ne songeaient point, Dieu merci! aux dures
gelées de décembre.
Ils prirent donc par la pépinière, s'arrêtant pour prodiguer aux
gazouillements vulgaires du pierrot et aux vocalises brillantes et
hardies du rossignol les mêmes applaudissements. Ils n'avaient pas
assez d'expérience pour juger et comparer, et trouvaient les chants de
l'un et de l'autre également admirables. En fait de jouissances, comme
vous pouvez croire, ils n'avaient point été gâtés; c'est pourquoi tout leur
semblait bon: ils n'étaient pas difficiles. N'importe, ils étaient heureux
et c'était le principal, n'est-ce pas?
Après s'être suffisamment promenés, à leur idée, ils sortirent du
Luxembourg par la grille de l'Odéon, et de là se dirigèrent tout droit
vers la rue Saint-André-des-Arts. C'était un chemin qu'ils connaissaient
de reste, car ils l'avaient fait plus d'une fois depuis le commencement
de l'hiver. Ils pensaient rencontrer, dans cette rue, un brave et digne
homme qui, par pitié, voulait bien leur porter quelque intérêt. «Comme
nous serions heureux si, à la place de Joseph, c'était lui qui fût notre
tuteur!» se disaient-ils souvent en admirant sa bonne et honnête figure
encadrée de cheveux gris que recouvrait invariablement un bonnet de
laine noir.
[Illustration: Il faisait rôtir et vendait des marrons.]
D'après cela, vous comprenez que ce n'était pas non plus un puissant
personnage. Non, bien sûr. On l'appelait le père Antoine, et, tant que
durait l'hiver, il faisait rôtir et vendait des marrons à la porte du
marchand de vin dont la boutique fait le coin de la rue _Saint-André
des-Arts et de la rue Gît-le-Coeur_. César et Aimée avaient fait sa
connaissance un jour de détresse, un soir qu'ils avaient perdu leur
chemin et erraient par là comme de pauvres âmes en peine, aveuglés
par la neige et le grésil qui, tombant fin et dru, leur cinglaient le visage
comme eussent fait des aiguilles. Le père Antoine, dont l'âme était
bonne et accessible à la pitié parce que lui-même, dans sa jeunesse,
avait connu la misère, les fit entrer dans son échoppe et se mit en devoir

de les réchauffer et les consoler, leur promettant de les remettre
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