éclate en sanglots, ou, abrutie par la douleur, s'assied sur la malle et reste immobile comme une idiote.
Alors,
Quand la Misère est vraiment bien entrée chez la courtisane;
Lorsqu'il n'y a plus de ressource ni de spectre de ressource, ni de vain espoir d'une ressource chimérique;
Que tout est fini;
Lorsqu'il n'y a plus ni le protecteur, ni le ?monsieur qui vient seulement quelquefois pour causer,? ni l'amant, ni l'ami de l'amant, ni l'amant de l'amie, ni le ?jeune homme avec qui l'amant s'est brouillé parce qu'il le soup?onnait à tort de faire la cour à Musette,? ni ?l'artiste qu'on aime seulement comme un frère parce qu'il a été si obligeant,? ni ?le grand gar?on qu'on méprise, mais qu'on re?oit cependant parce qu'il faut ménager ces gens-là,? ni le petit filleul sans conséquence qui n'a que dix-sept ans;
Lorsqu'on a épuisé les cent francs et les louis, et les dix francs, et les cinq francs et les quarante sous;
Quand on a emprunté vingt sous à la femme de ménage, et dix sous à la portière, et deux sous à la laitière;
Quand on a vendu la dernière chemise à la dernière marchande à la toilette, et le dernier mouchoir de coton à la dernière revendeuse borgne;
Quand on a emprunté un bouillon à la voisine sous prétexte que son pot-au-feu avait bonne mine, et que, depuis ce bouillon avalé, on est restée un jour et demi sans manger;
Lorsqu'il n'y a plus qu'à mourir;
Alors,
On va chercher THéRèSE, la bonne des grandes occasions. On va chercher Thérèse, et Thérèse trouve de l'argent, comme Scapin et comme Mascarille; que dis-je! avec plus de génie cent fois, car ces princes de la Bohème soutiraient des écus aux plus crédules des pères, tandis que Thérèse les gratte et les arrache sur les implacables rochers de la civilisation parisienne. Elle force les pierres à suer de l'or, monnoie le néant, escompte le brouillard, et vend le diable caché au fond des bourses vides.
Elle trouve de l'argent! elle en trouve pour payer le propriétaire, pour ravoir les diamants et pour acheter du jambon de Bayonne. Par quel procédé? par quelle intrigue? par quels abominables maléfices? M. de Humboldt, qui sait tout, ne devinerait assurément pas cela; mais quand on a vu Thérèse partir en chasse avec l'oeil bouillant de courroux, Thérèse agitant, comme une menace et comme un défi, le cabas de paille qu'elle emporte toujours vide et qu'elle rapporte toujours plein, on peut juger qu'elle ne s'en va pas à des combats pour rire! A-t-elle un charme pour magnétiser les pièces d'or comme on a cru que les serpents magnétisaient les oiseaux, ou bien, comme l'aurait pensé Théodore Hoffmann, est-ce le diable lui-même qui les lui donne dans quelque bouge obscur, rue de la Limace?
Quoi qu'il en soit, il y a trente ans, mille ans peut-être! que Thérèse trouve de l'argent, et elle n'a jamais eu d'argent. Elle ne veut pas en avoir, elle dédaigne l'argent, elle dédaigne la vie, et se hait elle-même; elle ne vit plus que par une passion sauvage, celle de l'Incarnation, par laquelle Vautrin se voyait revivre sous les traits charmants de Lucien de Rubempré. Elle devient la ressource, l'ame et la vie même des courtisanes désespérées; elle leur insuffle sa volonté et leur infuse son sang.
A la voix de Thérèse, le boulanger, le boucher et l'épicier sont rentrés dans le devoir; des meubles de palissandre, des robes de soie et une vaisselle neuve ont paru par enchantement; mais la courtisane a un ma?tre, comme si elle avait signé un pacte avec son sang.
Elle n'a plus le droit de vouloir ni de penser, ni de rêver. Cruelles amours, et vous caprices divins, fermez vos ailes! il faut obéir à Thérèse. Cette Marco échevelée qui menait hier la gentry à coups de cravache, aujourd'hui, voyez-la au balcon des Italiens! Avant de répondre a un regard ardent, elle lève timidement les yeux vers Thérèse pour savoir si Thérèse lui permet d'être touchée et de sentir br?ler ses veines. Un soir elle s'est échappée; la voilà à demi couchée sur un lit de repos; à c?té d'elle, sur un guéridon, le vin du Rhin, versé dans les verres couleur d'émeraude, attire les rayons d'une lampe discrète. A ses pieds, un enfant, beau comme l'Amour, la supplie tout en larmes, et elle lui abandonne ses mains moites et tremblantes.
Mais tout à coup minuit sonne; elle se lève comme poussée par un ressort; elle s'écrie avec consternation: ?Il faut que je parte.?
Après mille prières, après avoir épuisé tous les moyens de la retenir, le jeune homme lui dit enfin:--?Mais qui vous rappelle chez vous, est-ce votre mère??
--?Ah! répond la jeune fille, si ce n'était qu'une mère!? et elle ajoute avec la sombre douleur des damnés: ?C'est Thérèse!?
Comme si ce nom devait répondre à tout, et, en effet, il répond à tout.
Il faut voir
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