Les mystères de Paris, Tome V | Page 8

Eugène Süe
enfin? Merci! oh!
merci! Mais, à votre tour, rendez grâces à Dieu de vous avoir inspiré la
pensée d'écouter ma dernière prière. Si vous m'aviez refusé...
j'emportais avec moi un secret qui va faire la joie... le bonheur de votre
vie. Joie mêlée de quelque tristesse... bonheur mêlé de quelques
larmes... comme toute félicité humaine; mais cette félicité, vous
l'achèteriez encore au prix de la moitié des jours qui vous restent à
vivre!
--Que voulez-vous dire? lui demanda le prince avec surprise.
--Oui, Rodolphe, si vous n'étiez pas venu... ce secret m'aurait suivie
dans la tombe... c'eût été ma seule vengeance... et encore... non, non, je
n'aurais pas eu ce terrible courage. Quoique vous m'ayez bien fait
souffrir, j'aurais partagé avec vous ce suprême bonheur dont, plus
heureux que moi, vous jouirez longtemps, bien longtemps, je l'espère.
--Mais encore, madame, de quoi s'agit-il?
--Lorsque vous le saurez, vous ne pourrez comprendre la lenteur que je
mets à vous en instruire, car vous regarderez cette révélation comme un
miracle du ciel. Mais, chose étrange, moi qui d'un mot peux vous
causer le plus grand bonheur que vous ayez peut-être jamais ressenti...
j'éprouve, quoique maintenant les minutes de ma vie soient comptées,
j'éprouve une satisfaction indéfinissable à prolonger votre attente... et
puis je connais votre coeur... et, malgré la fermeté de votre caractère, je
craindrais de vous annoncer sans préparation une découverte aussi
incroyable. Les émotions d'une joie foudroyante ont aussi leurs
dangers.
--Votre pâleur augmente, vous contenez à peine une violente agitation,
dit Rodolphe; tout ceci est, je le crois, grave et solennel.
--Grave et solennel, reprit Sarah d'une voix émue; car, malgré son
impassibilité habituelle, en songeant à l'immense portée de la révélation
qu'elle allait faire à Rodolphe, elle se sentait plus troublée qu'elle

n'avait cru l'être; aussi, ne pouvant se contraindre plus longtemps, elle
s'écria:
--Rodolphe... notre fille existe...
--Notre fille!...
--Elle vit! vous dis-je...
Ces mots, l'accent de vérité avec lequel ils furent prononcés, remuèrent
le prince jusqu'au fond des entrailles.
--Notre enfant? répéta-t-il en se rapprochant précipitamment du fauteuil
de Sarah, notre enfant! ma fille!
--Elle n'est pas morte, j'en ai des preuves irrécusables... je sais où elle
est... demain vous la reverrez.
--Ma fille! ma fille! répéta Rodolphe avec stupeur, il se pourrait! elle
vivrait!
Puis tout à coup, réfléchissant à l'invraisemblance de cet événement, et
craignant d'être dupe d'une nouvelle fourberie de Sarah, il s'écria:
--Non... non... c'est un rêve! c'est impossible! vous me trompez, c'est
une ruse, un mensonge indigne!
--Rodolphe! écoutez-moi.
--Non, je connais votre ambition, je sais de quoi vous êtes capable, je
devine le but de cette tromperie!
--Eh bien! vous dites vrai, je suis capable de tout. Oui, j'avais voulu
vous abuser; oui, quelques jours avant d'être frappée d'un coup mortel,
j'avais voulu trouver une jeune fille... que je vous aurais présentée à la
place de notre enfant... que vous regrettiez amèrement.
--Assez... oh! assez, madame.

--Après cet aveu, vous me croirez peut-être, ou plutôt vous serez bien
forcé de vous rendre à l'évidence.
--À l'évidence...
--Oui, Rodolphe, je le répète, j'avais voulu vous tromper, substituer une
jeune fille obscure à celle que nous pleurions; mais Dieu a voulu, lui,
qu'au moment où je faisais ce marché sacrilège... je fusse frappée à
mort.
--Vous... à ce moment!
--Dieu a voulu encore qu'on me proposât... pour jouer ce rôle... de
mensonge... savez-vous qui? notre fille...
--Êtes-vous donc en délire... au nom du ciel?
--Je ne suis pas en délire, Rodolphe. Dans cette cassette, avec des
papiers et un portrait qui vous prouveront la vérité de ce que je vous dis,
vous trouverez un papier taché de mon sang.
--De votre sang?
--La femme qui m'a appris que notre fille vivait encore me dictait cette
révélation, lorsque j'ai été frappée d'un coup de poignard.
--Et qui était-elle? comment savait-elle?...
--C'est à elle qu'on avait livré notre fille... tout enfant... après l'avoir fait
passer pour morte.
--Mais cette femme... son nom?... peut-on la croire? où l'avez-vous
connue?
--Je vous dis, Rodolphe, que tout ceci est fatal, providentiel. Il y a
quelques mois, vous aviez tiré une jeune fille de la misère pour
l'envoyer à la campagne, n'est-ce pas?
--Oui, à Bouqueval.

--La jalousie, la haine, m'égaraient. J'ai fait enlever cette jeune fille par
la femme... dont je vous parle...
--Et on a conduit la malheureuse enfant à Saint-Lazare.
--Où elle est encore.
--Elle n'y est plus. Ah! vous ne savez pas, madame, le mal affreux que
vous avez fait... en arrachant cette infortunée de la retraite où je l'avais
placée... mais...
--Cette jeune fille n'est plus à Saint-Lazare, s'écria Sarah avec
épouvante, et vous parlez d'un malheur affreux!
--Un monstre de cupidité avait intérêt à sa perte. Ils l'ont noyée,
madame... Mais répondez... vous dites que...
--Ma fille! s'écria Sarah, en interrompant Rodolphe et se levant
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 124
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.