d'un ton soumis mais défiant. Maintenant, si tu m'abandonnais, qu'est-ce que je deviendrais?
--?a, c'est vrai. Dis donc, Fourline, quelle farce si nous deux Tortillard, nous nous esbignions avec la voiture, et que nous te laissions là, au milieu des champs, par cette nuit où le froid va pincer dur! C'est ?a qui serait dr?le, hein, brigand?
à cette menace, le Ma?tre d'école frémit; il se rapprocha de la Chouette et lui dit en tremblant:
--Non, non, tu ne feras pas ?a, la Chouette... ni toi non plus, Tortillard... ?a serait trop méchant.
--Ah! ah! ah! trop méchant... est-il simple! Et le petit vieux de la rue du Roule! et le marchand de boeufs! et la femme du canal Saint-Martin! et le monsieur de l'allée des Veuves! Est-ce que tu crois qu'ils t'ont trouvé caressant, avec ton grand couteau? Pourquoi donc qu'à ton tour on ne te ferait pas de farce?
--Eh bien! je l'avouerai, dit sourdement le Ma?tre d'école; voyons, j'ai eu tort de te soup?onner, j'ai eu tort aussi de vouloir battre Tortillard: je t'en demande pardon, entends-tu... et à toi aussi, Tortillard... oui, je vous demande pardon à tous deux.
--Moi, je veux qu'il demande pardon à genoux d'avoir voulu battre la Chouette, dit Tortillard.
--Gueux de momacque! Est-il amusant! dit la Chouette en riant; il me donne pourtant envie de voir quelle frimousse tu feras comme ?a, mon homme. Allons, à genoux, comme si tu jaspinais d'amour à ta Chouette; dépêche-toi, ou nous te lachons; et, je t'en préviens, dans une demi-heure il fera nuit.
--Nuit ou jour qu'est-ce que ?a lui fait? dit Tortillard en goguenardant. Ce monsieur garde toujours ses volets fermés, il a peur de gater son teint.
--Me voici à genoux. Je te demande pardon, la Chouette... et à toi aussi, Tortillard. Eh bien! êtes-vous contents? dit le brigand en s'agenouillant au milieu du chemin. Maintenant, vous ne m'abandonnerez pas, dites?
Ce groupe étrange, encadré dans les talus du ravin, éclairé par les lueurs rougeatres du crépuscule, était hideux à voir.
Au milieu du chemin, le Ma?tre d'école, suppliant, étendait vers la borgnesse ses mains puissantes; sa rude et épaisse chevelure retombait comme une crinière sur son front livide; ses paupières rouges, démesurément écartées par la frayeur, laissaient alors voir la moitié de sa prunelle immobile, terne, vitreuse, morte... le regard d'un cadavre.
Ses formidables épaules se courbaient humblement. Cet hercule s'agenouillait tremblant aux pieds d'une vieille femme et d'un enfant.
La borgnesse, enveloppée d'un chale de tartan rouge, la tête couverte d'un vieux bonnet de tulle noir qui laissait échapper quelques mèches de cheveux gris, dominait le Ma?tre d'école de toute sa hauteur. Le visage osseux, tanné, ridé, plombé, de cette vieille au nez crochu exprimait une joie insultante et féroce; son oeil fauve étincelait comme un charbon ardent; un rictus sinistre retroussait ses lèvres ombragées de longs poils et montrait trois ou quatre grandes dents jaunes et déchaussées.
Tortillard, vêtu de sa blouse à ceinture de cuir, debout sur un pied, s'appuyait au bras de la Chouette pour se maintenir en équilibre.
La figure maladive et rusée de cet enfant, au teint aussi blafard que ses cheveux, exprimait en ce moment une méchanceté railleuse et diabolique.
L'ombre projetée par l'escarpement du ravin redoublait l'horreur de cette scène, que l'obscurité croissante voilait à demi.
--Mais promettez-moi donc, au moins, de ne pas m'abandonner!... répéta le Ma?tre d'école, effrayé du silence de la Chouette et de Tortillard, qui jouissaient de son effroi. Est-ce que vous n'êtes plus là? ajouta le meurtrier en se penchant pour écouter et avan?ant machinalement les bras.
--Si, si, mon homme nous sommes là; n'aie pas peur. T'abandonner! plut?t baiser la camarde[18]! Une fois pour toutes, il faut que je te rassure et que je te dise pourquoi je ne t'abandonnerai jamais. écoute-moi bien: j'ai toujours adoré avoir quelqu'un à qui faire sentir mes ongles... bêtes ou gens. Avant la Pégriotte (que le boulanger me la renvoie! car j'ai toujours mon idée... de la débarbouiller avec du vitriol), avant la Pégriotte, j'avais un m?me qui s'est refroidi[19] à la peine: c'est pour cela que j'ai été au clou[20] six ans; pendant ce temps-là je faisais la misère à des oiseaux: je les apprivoisais pour les plumer tout vifs... mais je ne faisais pas mes frais, ils ne duraient rien. En sortant de prison, la Goualeuse est tombée sous ma griffe; mais la petite gueuse s'est sauvée pendant qu'il y avait encore de quoi s'amuser sur sa peau. Après, j'ai eu un chien qui a pati autant qu'elle; j'ai fini par lui couper une patte de derrière et une patte de devant: ?a lui faisait une si dr?le de dégaine que j'en riais, mais que j'en riais à crever.
?Il faudra que je fasse ?a à un chien que je connais et qui m'a mordu?, se dit Tortillard.
--Quand je t'ai rencontré, mon homme, continua la Chouette, j'étais en
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