lache pied; un ravalement de la plaine, un mouvement de terrain, un sentier transversal à propos, un bois, un ravin, peuvent arrêter le talon de ce colosse qu'on appelle une armée et l'empêcher de reculer. Qui sort du champ est battu. De là, pour le chef responsable, la nécessité d'examiner la moindre touffe d'arbres, et d'approfondir le moindre relief.
Les deux généraux avaient attentivement étudié la plaine de Mont-Saint-Jean, dite aujourd'hui plaine de Waterloo. Dès l'année précédente, Wellington, avec une sagacité prévoyante, l'avait examinée comme un en-cas de grande bataille. Sur ce terrain et pour ce duel, le 18 juin, Wellington avait le bon c?té, Napoléon le mauvais. L'armée anglaise était en haut, l'armée fran?aise en bas.
Esquisser ici l'aspect de Napoléon, à cheval, sa lunette à la main, sur la hauteur de Rossomme, à l'aube du 18 juin 1815, cela est presque de trop. Avant qu'on le montre, tout le monde l'a vu. Ce profil calme sous le petit chapeau de l'école de Brienne, cet uniforme vert, le revers blanc cachant la plaque, la redingote grise cachant les épaulettes, l'angle du cordon rouge sous le gilet, la culotte de peau, le cheval blanc avec sa housse de velours pourpre ayant aux coins des N couronnées et des aigles, les bottes à l'écuyère sur des bas de soie, les éperons d'argent, l'épée de Marengo, toute cette figure du dernier césar est debout dans les imaginations, acclamée des uns, sévèrement regardée par les autres.
Cette figure a été longtemps toute dans la lumière; cela tenait à un certain obscurcissement légendaire que la plupart des héros dégagent et qui voile toujours plus ou moins longtemps la vérité; mais aujourd'hui l'histoire et le jour se font.
Cette clarté, l'histoire, est impitoyable; elle a cela d'étrange et de divin que, toute lumière qu'elle est, et précisément parce qu'elle est lumière, elle met souvent de l'ombre là où l'on voyait des rayons; du même homme elle fait deux fant?mes différents, et l'un attaque l'autre, et en fait justice, et les ténèbres du despote luttent avec l'éblouissement du capitaine. De là une mesure plus vraie dans l'appréciation définitive des peuples. Babylone violée diminue Alexandre; Rome encha?née diminue César; Jérusalem tuée diminue Titus. La tyrannie suit le tyran. C'est un malheur pour un homme de laisser derrière lui de la nuit qui a sa forme.
Chapitre V
Le quid obscurum des batailles
Tout le monde conna?t la première phase de cette bataille; début trouble, incertain, hésitant, mena?ant pour les deux armées, mais pour les Anglais plus encore que pour les Fran?ais.
Il avait plu toute la nuit; la terre était défoncée par l'averse; l'eau s'était ?à et là amassée dans les creux de la plaine comme dans des cuvettes; sur de certains points les équipages du train en avaient jusqu'à l'essieu; les sous-ventrières des attelages dégouttaient de boue liquide; si les blés et les seigles couchés par cette cohue de charrois en masse n'eussent comblé les ornières et fait litière sous les roues, tout mouvement, particulièrement dans les vallons du c?té de Papelotte, e?t été impossible.
L'affaire commen?a tard; Napoléon, nous l'avons expliqué, avait l'habitude de tenir toute l'artillerie dans sa main comme un pistolet, visant tant?t tel point, tant?t tel autre de la bataille, et il avait voulu attendre que les batteries attelées pussent rouler et galoper librement; il fallait pour cela que le soleil par?t et séchat le sol. Mais le soleil ne parut pas. Ce n'était plus le rendez-vous d'Austerlitz. Quand le premier coup de canon fut tiré, le général anglais Colville regarda à sa montre et constata qu'il était onze heures trente-cinq minutes.
L'action s'engagea avec furie, plus de furie peut-être que l'empereur n'e?t voulu, par l'aile gauche fran?aise sur Hougomont. En même temps Napoléon attaqua le centre en précipitant la brigade Quiot sur la Haie-Sainte, et Ney poussa l'aile droite fran?aise contre l'aile gauche anglaise qui s'appuyait sur Papelotte.
L'attaque sur Hougomont avait quelque simulation: attirer là Wellington, le faire pencher à gauche, tel était le plan. Ce plan e?t réussi, si les quatre compagnies des gardes anglaises et les braves Belges de la division Perponcher n'eussent solidement gardé la position, et Wellington, au lieu de s'y masser, put se borner à y envoyer pour tout renfort quatre autres compagnies de gardes et un bataillon de Brunswick.
L'attaque de l'aile droite fran?aise sur Papelotte était à fond; culbuter la gauche anglaise, couper la route de Bruxelles, barrer le passage aux Prussiens possibles, forcer Mont-Saint-Jean, refouler Wellington sur Hougomont, de là sur Braine-l'Alleud, de là sur Hal, rien de plus net. à part quelques incidents, cette attaque réussit. Papelotte fut pris; la Haie-Sainte fut enlevée.
Détail à noter. Il y avait dans l'infanterie anglaise, particulièrement dans la brigade de Kempt, force recrues. Ces jeunes soldats, devant nos redoutables fantassins, furent vaillants; leur inexpérience se tira intrépidement d'affaire; ils firent surtout un excellent service de tirailleurs; le
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