fils eurent soupé, mistress Fanoche leur dit:
--Vous devez avoir besoin de repos: venez, je vais vous conduire à votre chambre.
Elle prit une des deux lampes qui se trouvaient sur la cheminée.
Ralph, car c'était bien le nom du petit Irlandais, se laissa gentiment embrasser par les petites filles.
Mais la dernière, la plus agée, celle qui tout à l'heure l'avait regardé avec tristesse, l'embrassa avec plus d'effusion que les autres et lui dit à l'oreille:
--Il ne faut pas rester ici, vois-tu... Il ne le faut pas...
--Pourquoi? demanda l'enfant.
--Parce que ces dames sont bien méchantes et qu'elles te battraient.
En ce moment, la vieille femme osseuse ramena son binocle sur le bout de son nez.
La petite fille rougit et se dégagea des bras de Ralph. Mais elle lui pressa encore la main, et le petit Irlandais sentit que cette main tremblait.
Cependant mistress Fanoche avait ouvert une porte au fond du parloir et introduit l'Irlandaise dans une jolie petite chambre où il y avait deux lits jumeaux dans une alc?ve.
Tout cela était blanc, sentait bon, et avait, pour nous servir de l'expression essentiellement anglaise, un aspect confortable.
L'Irlandaise se souvint des paroles de Shoking, qui avait comparé cela au paradis.
--Ma chère, dit alors mistress Fanoche, ne m'avez-vous pas dit que vous vouliez aller demain à Saint-Gilles?
--Oui, madame.
--A quelle heure?
--Il faut que nous soyons, mon fils et moi, pour la messe de huit heures.
--On vous éveillera à sept, ma chère: bonne nuit.
Et mistress Fanoche alluma une bougie qu'elle laissa sur la table, caressa encore une fois l'enfant et sortit.
Alors, se trouvant seule avec lui, Jenny l'Irlandaise prit son fils dans ses bras.
L'enfant avait retrouvé son front soucieux.
--Mère, dit-il, est-ce que nous allons rester ici?
--Oui, mon enfant.
--Longtemps?
--Jusqu'à demain.
--Bien s?r, nous nous en irons demain?
--Il le faudra bien, soupira-t-elle.
--Pourquoi ne nous en allons-nous pas tout de suite?
--Mais, mon enfant, c'est impossible...
--Oh! dit-il.
Et il garda un moment le silence.
Puis, tandis que sa mère le déshabillait pour le mettre au lit.
--J'ai peur, dit-il bien bas.
--Pourquoi aurais-tu peur? demanda la pauvre mère.
--La petite fille m'a dit qu'il ne fallait pas rester...
--Pourquoi donc?
--Parce que ces femmes sont méchantes et qu'elles me battraient.
--Ne suis-je pas là pour te défendre, moi?
--C'est vrai. Alors nous resterons... mais nous nous en irons demain, n'est-ce pas? Tu me le promets?
--Oui.
--Alors, bonsoir, mère.
Et l'enfant se coucha.
Quelques minutes après, il dormait d'un profond sommeil.
L'Irlandaise se mit à genoux, au pied de son lit; elle voulut prier et remercier Dieu qui ne l'avait pas abandonnée; mais soudain elle sentit une chaleur extraordinaire monter de sa poitrine à son visage.
Sa tête s'alourdit; un invincible besoin de dormir, qu'elle prit pour le résultat de la fatigue, s'empara d'elle.
Elle voulut se lever et ne le put. Elle essaya d'appeler à son aide, mais sa gorge crispée ne rendit aucun son. Tout à coup ses yeux se fermèrent sans qu'il lui f?t possible de les rouvrir, et elle s'affaissa lourdement sur le tapis de laine commune qui se trouvait au pied de son lit.
Alors la porte de la chambre s'ouvrit et mistress Fanoche reparut.
Un homme à figure sinistre la suivait.
V
Quel était donc ce nouveau personnage?
C'est ce que nous allons vous dire en peu de mots.
A peine l'Irlandaise était-elle dans sa chambre que la scène avait subitement changé au parloir.
Mistress Fanoche avait fait un signe, et à ce signe, la grande dame osseuse prenant un air méchant et ramenant avec un geste de fureur ses bésicles, sur le bout de son nez crochu, avait dit d'une voix impérieuse:
--Allons, vilaine marmaille, au lit!
Les petites filles alors, toutes tremblantes, s'étaient levées de table sans mot dire et avaient suivi leur terrible ma?tresse, qui les avaient conduites dans le vestibule et leur avait fait gravir l'escalier qui montait aux étages supérieurs.
Mistress Fanoche était demeurée un moment, absorbée par la lecture d'une lettre qu'elle avait tirée de sa poche et que certainement elle ne lisait pas pour la première fois, car le papier en était sali et froissé.
L'oeil de cette femme brillait d'une joie infernale, et elle murmurait tout en lisant:
--C'est une fière chance tout de même qu'au lieu de revenir de Greenwich par l'omnibus, j'aie pris le Penny-Boat. Maintenant sir John Waterley et miss émily peuvent venir, j'ai un fils à leur rendre. Pourvu que mon commissionnaire ait trouvé Wilton.
Elle achevait à peine qu'on frappa à la porte.
--Entrez, dit-elle.
Un homme parut.
Un homme d'aspect repoussant et presque aussi déguenillé que le bon Shoking.
Il portait une barbe épaisse et de grands cheveux.
Cheveux et barbe dissimulaient presque en entier un visage couturé de mystérieuses cicatrices, qu'éclairaient deux petits yeux pleins de férocité.
--Ah! vous voilà, Wilton? dit mistress Fanoche.
--Oui, madame.
--Vous n'êtes pas gris, au moins.
Cet homme eut un sourire amer.
--Je n'ai ni bu ni mangé depuis hier, dit-il.
--Voilà un verre de bière et une tartine; mais dépêchez-vous, dit mistress Fanoche, tandis que cet homme s'approchait avec avidité de la table encore servie, nous
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