voilà une dame qui a l'air très-honnête, par saint Georges!
L'enfant avait fermé les yeux et ne disait plus rien.
--Allons, venez ma chère, répéta pour la troisième fois mistress Fanoche.
IV
L'Irlandaise céda.
L'immensité de Londres l'avait tellement épouvantée que, maintenant, elle se serait confiée au premier venu.
Elle oublia la répulsion que lui avait inspirée mistress Fanoche, elle oublia que cette répulsion avait été partagée et plus vivement encore par son fils.
Elle ne vit qu'une chose, c'est que ce dernier mourait de froid et de faim.
Mistress Fanoche la prit par le bras et fit signe à Shoking de les suivre.
Le mendiant ne se le fit point répéter.
Le trajet était court.
Vers le milieu de Dudley-street, il y avait une petite maison comme on en voit dans les beaux quartiers, avec un sous-sol par devant, un jardin par derrière, une entrée à portique supporté par quatre colonnettes, et une fa?ade de trois croisées à guillotine par étage.
Mistress Fanoche tira de sa poche une clef et entra la première.
Le vestibule était propre, garni de boiseries toutes neuves; le sol était frotté et luisant et une corbeille de porcelaine renfermant une plante grasse pendait au plafond.
L'escalier était dans le fond.
Shoking aspira l'air bruyamment et murmura:
--Voilà qui sent meilleur que le boarding (pension) où je voulais la conduire.
L'Irlandaise, elle aussi, sentit un soulagement. Elle se souvint des blancs cottages et des jolies maisonnettes des environs de Dublin.
Mistress Fanoche poussa une seconde porte et une clarté assez vive fit place à la demi-obscurité qui régnait dans le vestibule.
L'Irlandaise se trouva au seuil d'un joli parloir où il y avait un tapis à fleurs, des meubles en noyer verni, une pendule et des vases sur la cheminée et au milieu une table autour de laquelle une vieille femme,--celle du Penny-Boat, et quatre petites filles de six à huit ans, prenaient leur repas.
Le bon Shoking se prit à renifler l'odeur des tartines beurrées et du rotsbeaf tout chaud qui fumait sur la table.
L'enfant, qui s'était arraché à sa somnolence, jeta sur ces aliments un regard avide et ne vit plus mistress Fanoche qui lui avait tant fait peur.
Quant à la pauvre Irlandaise, elle se mit à pleurer.
--Ma tante, dit mistress Fanoche en s'adressant à la grande femme osseuse qui avait retiré son pince-nez pour mieux voir, voici une pauvre femme et son enfant à qui j'ai offert l'hospitalité.
La grande dame osseuse adoucit sa voix, qui était rauque d'ordinaire comme celle d'un chien de garde, et répondit:
--Bienvenus les pauvres que Dieu nous envoie!
--Vous avez une fameuse chance, ma chère, dit Shoking à l'oreille de l'Irlandaise, on vous aurait offert une place dans le paradis que ce n'e?t pas été mieux.
Mistress Fanoche prit les mains de la jeune femme, qui pleurait toujours:
--Approchez-vous du poêle, ma bonne, dit-elle, chauffez-vous bien!... il fait si froid... et puis mettez-vous à table avec nous.
Et toi, mon mignon, ajouta-t-elle en caressant l'enfant, qui n'osa plus se reculer, te fais-je toujours peur?
--Non, répondit-il en regardant les petites filles avec une sympathique curiosité.
Alors mistress Fanoche se tourna vers Shoking:
--Vous êtes un brave homme, mon cher, dit-elle. Je ne puis pas vous garder à souper, car jamais un homme n'est entré ici. Mais buvez un coup de bière et prenez cette demi-couronne.
Shoking, lui aussi, se sentait venir les larmes aux yeux.
Mais comme il était plein de dignité, il contint son émotion, accepta le coup de bière, puis la demi-couronne et murmura gravement:
--Adieu, milady, et Dieu vous garde!
Bonne nuit, ma chère, ajouta-t-il en tendant la main à l'Irlandaise. Vous êtes en bonnes mains et je puis m'en aller tranquille.
Et il sortit, saluant avec la courtoisie d'un gentleman et posant sous son bras gauche son vieux chapeau sans bords.
Seulement, une fois dans la rue, il nota dans sa mémoire le nom de mistress Fanoche et le numéro de la maison.
Puis il s'en alla en se disant:
--Voilà une journée qui finit bien. J'ai bu un coup de bière, j'ai une demi-couronne dans ma poche, j'ai assisté une pauvre femme et son enfant, et si le noble lord ne s'est pas moqué de moi, j'aurai une dizaine de livres dans une heure.
Jamais tu n'as eu pareille veine, mon cher, poursuivit-il en s'adressant à lui-même, et si cela continue, au lieu d'aller coucher à la nuit dans le workhouse mil-endroad, tu seras quelque jour un pauvre présenté.
* * * * *
Pendant ce temps, l'Irlandaise soupait avec avidité, versant, de temps à autre, une larme de reconnaissance.
--Commuat t'appelles-tu, madame? lui disait une des petites filles, la plus jeune.
--Jenny, répondit-elle.
Et ce jeune monsieur? poursuivit l'enfant en montrant le petit Irlandais.
--Ralph, dit l'enfant.
Elle lui sauta au cou et lui dit:
--Je t'aime bien... voudras-tu jouer avec moi?
--Oui, répondit Ralph.
La plus agée des petites filles regardait avec tristesse la mère et l'enfant.
Mistress Fanoche surprit ce regard, et la petite fille baissa aussit?t les yeux et devint toute tremblante.
Quand l'Irlandaise Jenny et son
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.