les corps des suppliciés.
Le jour où la potence se dresse, une heure avant que le condamné
monte sur l'échafaud, deux cloches se font entendre et tintent un long
glas funèbre. L'une est celle de Saint-Barthélemy, l'autre, celle de
Christ's hospital.
Elles ne se taisent que lorsque les chirurgiens ont emporté le corps du
supplicié.
Comme en France, l'exécution est publique, seulement la potence
remplace la guillotine.
Mais l'heure est la même. A cinq heures en été, à sept en hiver.
Dès la veille, le bruit de la lugubre cérémonie circule dans le quartier.
Les négociants qui ont leurs bureaux dans Old Bailey disent alors à
leurs employés et à leurs commis:
--Vous pourrez venir une heure plus tard, demain.
Le monde des affaires est matinal à Paris.
A Londres, il l'est moins.
Avant neuf heures, il n'y a pas un comptoir ouvert.
Donc, à dix heures, c'est-à-dire trois heures après, le négociant d'Old
Bailey qui arrive par l'omnibus, le penny-boat ou le chemin de fer, ne
trouve plus trace du drame épouvantable qu'il aurait pu voir de sa
fenêtre.
A cinq heures et demie, bien avant le jour, une escouade de policemen
est arrivée dans Old Bailey, escortant une charrette traînée par des
hommes, et chargée des bois de justice.
Les policemen ont tendu des deux côtés de la rue une grosse chaîne.
C'est la barrière que le peuple ne doit pas franchir. A six heures, à la
lueur des torches, on a dressé l'échafaud et les deux cloches ont
commencé à tinter. Alors le peuple est accouru.
Fleuve humain, torrent de guenilles, il est monté des bords de la Tamise,
descendu des hauteurs de Hampsteadt, venu des bouges du Wapping,
demeurés ouverts toute la nuit, et des rues sinistres de White Chapel, où
chaque maison a connaissance d'un supplicié.
Il est accouru de toutes parts, emplissant Farringdon street, et Newgate
street, et les abords de Saint-Barthélemy, se perchant sur les toits,
s'accroupissant sur les grilles des squares, grimpant sur les arbres.
Mais la place est petite, et, s'il y a beaucoup d'appelés, il y a peu d'élus.
Les élus sont ceux qui arrivent les premiers.
Cependant, personne ne se plaint.
On n'entend pas un cri, pas un murmure.
Ces flots de chair humaine sont plus silencieux que les flots de la mer
par des temps calmes.
S'ils causent entre eux, c'est à voix basse.
Un sur cent verra l'échafaud, un sur mille apercevra le condamné.
Qu'importe! Le plus rapproché du lieu du supplice dira à son voisin ce
qu'il voit; celui-ci le répétera à ses voisins, et, à un quart de mille du
hideux spectacle, chacun en apprendra les détails.
A sept heures arrivera le condamné.
S'il est brave, il parlera au peuple.
Si les affres de la mort le tiennent, il se contentera d'embrasser le prêtre,
laissera le bonnet noir couvrir sa tête et tomber sur ses épaules, puis la
trappe s'affaissera, et tout sera dit.
A huit heures, les chirurgiens constateront la mort, et le cadavre sera
enlevé.
Alors, le peuple s'en ira comme il est venu, les chaînes seront enlevées,
l'échafaud démoli, et, lorsque le négociant et le banquier arriveront de
la campagne, ils se mettront tranquillement à la besogne, comme si de
rien n'était.
Or, ce jour-là, avant-veille de la Christmas, Old Bailey avait été témoin
d'un semblable spectacle. On avait pendu le matin un pauvre diable de
Français, condamné pour avoir assassiné la femme qui partageait sa
misère.
Ivres de désespoir tous deux, sans vêtements et sans pain, les deux
malheureux avaient résolu d'en finir avec la vie.
Le Français avait tué sa maîtresse d'abord, puis il avait tourné le
coutelas fumant vers sa propre poitrine, et sa main tremblante n'était
point parvenue à l'y enfoncer tout entier.
Il avait survécu, la cour d'assises l'avait déclaré assassin et condamné à
être pendu.
C'était le matin même que le malheureux avait payé sa dette à la justice,
et bien qu'il fût près de dix heures et qu'il ne restât pas dans Old Bailey
la moindre trace de l'exécution, une certaine animation régnait au seuil
des magasins, et les commis s'attroupaient et causaient entre eux.
La maison occupée par la maison de banque Harris Johnson et Cie était
surtout en rumeur.
Cela tenait à une circonstance particulière.
La maison Harris avait une succursale à Paris, et le Français qu'on
venait de pendre avait été employé dans les bureaux de la maison de
Londres, il y avait environ un an.
Le chef de la maison, M. Harris, l'avait congédié parce qu'il l'avait vu
gris un dimanche.
Or, M. Harris était un brave homme, au demeurant, et en dépit de son
puritanisme religieux, il s'était repenti de sa dureté, lorsqu'il avait
appris la fin tragique de son ex-employé.
Il avait même fait de nombreuses démarches, huit jours auparavant,
pour obtenir
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.