de joie et tendit les bras au bandit.
VI
Suzannah regarda Bulton, au cou de qui sautait l'enfant.
Bulton lui fit un signe imperceptible qui voulait dire:
--Tais-toi donc, c'est pour qu'il fasse ce que nous voudrons.
Le bandit avait arrangé une petite histoire propre à frapper
l'imagination de Ralph, et il en avait pris les premiers éléments dans le
récit même du pauvre enfant.
Au cri de joie poussé par le petit Irlandais, quelques personnes qui se
trouvaient dans le public-house s'étaient retournées.
--Ne fais pas de bruit, lui dit Bulton, ne crie pas, et écoute-moi bien.
Il avait su trouver une voix sympathique et se faire un visage
affectueux.
L'enfant qui, le matin encore, avait peur de lui, se sentit pris d'une sorte
de tendresse subite pour cet homme qui lui promettait de lui rendre sa
mère.
Bulton fit un nouveau signe à Suzannah, et tous trois passèrent dans le
parloir du public-house, où il n'y avait personne.
Là, Bulton dit:
--Nous avons le temps... il ne faut pas nous presser... Écoute-moi bien,
mon mignon.
Ralph le regardait avec anxiété.
--Ta mère est en prison, dit Bulton.
L'enfant joignit les mains et leva un regard douloureux.
Bulton continua:
--Elle est en prison, comme tu l'étais toi-même, nous as-tu dit, dans une
maison particulière. Ceux qui t'ont emmené d'un côté et te battaient, ont
emmené ta mère de l'autre.
L'enfant eut un geste de colère.
--Oh! dit-il, est-ce qu'ils ont osé la battre?
--Non, mais ils la battront si nous ne la délivrons pas. Heureusement je
suis là, moi.
Et Bulton prit un air de matamore qui acheva de convaincre le petit
Irlandais.
--Et où est-elle? demanda Suzannah à son tour.
Cette question faite avec une grande naïveté eût achevé de convaincre
Ralph.
--Elle n'est pas bien loin d'ici, dans une maison où on l'a enfermée,
continua Bulton.
--Allons vite la délivrer! dit l'enfant.
Bulton sourit.
--Tu n'es plus un enfant, dit-il, tu es un homme et tu comprendras
pourquoi nous ne partons pas de suite.
--Ah! dit Ralph en le regardant. Eh bien! pourquoi?
--Parce qu'il faut attendre que ses gardiens soient couchés et que les
rues soient désertes.
Ralph ne fit pas d'objection. Il comprenait vaguement que Bulton
devait avoir raison.
Suzannah se remit à parler cette langue verte des voleurs de Londres
qui ne pouvait être intelligible pour le petit Irlandais.
--As-tu donc tout préparé? dit-elle à Bulton.
--Oui. J'ai les fausses clefs. De plus je suis venu en cab et j'ai laissé le
cocher à la porte.
--Pourquoi avoir pris un cab?
--Pour ne pas éveiller de soupçons d'abord.
Quand on verra une voiture à la porte, les passants ne feront nullement
attention à nous, ils croiront que nous sommes des clients de Thomas
Elgin. Ensuite, une fois que nous aurons l'argent, nous filerons plus
vite.
--Es-tu donc bien sur qu'il ait de l'argent aujourd'hui?
--J'en suis certain.
--Comment?
--Je l'ai vu entrer à la Banque à trois heures et demie.
--Et il ne t'a pas vu, lui?
--Non. D'ailleurs, je suis bien changé depuis le temps où j'étais son
client; il ne me reconnaîtrait pas.
Bulton regarda la pendule du public-house.
Elle marquait huit heures et demie.
--Nous n'avons plus qu'une demi-heure à attendre, dit-il.
--Ah! dit Suzannah.
--Comme Thomas Elgin sortait de la banque, poursuivit Bulton, je l'ai
entendu qui donnait rendez-vous à une personne pour dix heures dans
Leicester square. Il ira donc prendre le train de neuf heures à la station.
Quand le sifflet de la locomotive se fera entendre, nous partirons.
--Mais, dit Suzannah, quand nous aurons fait le coup, que ferons-nous
de l'enfant?
--Nous le conduirons à Saint-Gilles, au work-house. Il est à peu près
certain que ses parents viendront l'y réclamer.
--Et nous.
--Nous filerons dès demain matin par le South-Eastern-Railway...
--Tu es donc toujours décidé à aller en France?
--Toujours.
Suzannah sauta au cou de Bulton.
Ils causèrent ainsi quelques minutes encore; puis le bandit se leva, jeta
une demi-couronne sur le comptoir pour payer la dépense et sortit le
premier.
Suzannah reprit l'enfant par la main:
--Viens, dit-elle.
--Madame, demanda Ralph, bien sûr, n'est-ce pas, que nous allons
revoir maman?
--Oui, mon mignon.
Le cab dont avait parlé Bulton était, en effet, à la porte du public-house.
Suzannah y monta la première, fit asseoir Ralph auprès d'elle et Bulton
monta à côté du cocher.
--Où allons-nous? demanda le cabman.
--Kilburn square, je t'arrêterai à la porte, dit Bulton; mais auparavant,
passe devant la station du railway.
On entendait dans le lointain le sifflet du train et Bulton n'était pas
fâché de voir partir Thomas Elgin.
Sur son ordre, le cocher alla lentement, et, comme il arrivait devant la
station, Bulton aperçut un homme qui se dirigeait en toute hâte vers le
guichet.
Cet homme, enveloppé dans un chaud _imperméable_,
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