Les misères de Londres | Page 2

Pierre Alexis de Ponson du Terrail
vit, un
vestibule, et au bout de ce vestibule une porte sous laquelle passait un
rayon de clarté blafarde.
Il alla vers cette porte; mais elle était fermée.
Alors l'enfant se mit à tourner dans tous les sens; ses yeux s'habituaient
peu à peu aux ténèbres, et il voyait assez distinctement les objets qui
l'entouraient.
Après la porte, il trouva une croisée.
La terreur qu'il éprouvait en pensant que mistress Fanoche et des
hommes qu'il ne connaissait pas étaient à sa recherche, doubla sa force
et son énergie.
Après bien des efforts et des tâtonnements, il parvint à ouvrir la croisée.
Elle donnait sur une petite cour.
Cette cour était fermée par une grille; mais cette grille n'était pas élevée,
et Ralph, ayant sauté dans la cour, résolut de l'escalader.
De l'autre côté de la grille, il y avait une rue.
L'enfant se mit à grimper le long des barreaux qui se terminaient en fer
de lance. Il parvint au couronnement, non sans se blesser et sans
ensanglanter ses petites mains.
Il prononça le nom de sa mère pour se donner du courage, et sauta dans
la rue.
Il tomba sur les genoux et se meurtrit.
Mais que lui faisait maintenant la douleur? Il était libre!

Et il se mit à courir droit devant lui.
Désert ou non, un faubourg de Londres est éclairé au gaz avec une rare
munificence.
De six heures du soir au matin, c'est la fête de l'hydrogène qui tient ses
assises sur un parcours de vingt-cinq lieues carrées.
On avait amené Ralph endormi à Hampsteadt. Il lui était donc
impossible de savoir qu'il se trouvait à plus de trois milles de distance
de cette maison dans Dudley street où Shoking l'avait conduit avec sa
mère.
Au bout de la rue qu'il venait de suivre, il trouva une grande artère qu'il
crut reconnaître pour une de celles qu'il avait parcourues avec elle.
A Londres, toutes les rues se ressemblent.
Il enfila donc cette grande voie où les passants et les voitures étaient
plus rares que les becs de gaz.
C'était Hampsteadt road.
Il marcha longtemps, sans s'apercevoir que ses mains et ses genoux
saignaient.
Au bout d'une heure, il crut voir sur sa gauche une rue qui ressemblait à
Dudley street, et il y entra.
Celle-là était plus étroite que Hampsteadt road, mais elle était plus
éclairée, plus animée et il y avait une longue file de boutiques.
Comme l'enfant ne savait pas le nom de la rue où on l'avait conduit
avec sa mère, il ne pouvait pas demander son chemin.
A la morne solitude d'Hampstead road avait peu à peu succédé la vie
bruyante de Londres.
Maintenant il était sur Kings street, Camdentown.

Il marcha encore, il marcha toujours, tantôt mourant sur ses pieds,
tantôt ayant une lueur d'espoir et croyant reconnaître le square
Saint-Gilles ou la place des Sept-Cadrans; puis entrant dans les rues
adjacentes, à droite et à gauche, et tournant souvent sur lui-même.
Cela dura quatre heures.
Au bout de ce temps, le pauvre enfant n'était pas plus avancé qu'au
moment où il avait quitté le jardin de mistress Fanoche.
Alors le désespoir le prit et vint en aide à la lassitude.
Il s'assit sur la marche d'une porte à demi-perdue dans l'ombre et se mit
à pleurer.
La foule est indifférente partout, mais plus encore à Londres.
Cent personnes passèrent devant ce petit malheureux qui sanglotait et
ne le regardèrent même pas.
Cependant une femme passa à son tour.
Elle s'arrêta, contempla Ralph, lui mit la main sur l'épaule et lui dit:
--Qu'as-tu donc, mon cher mignon?
L'enfant leva la tête et envisagea celle qui lui adressait la parole d'une
voix douce et compatissante.
Elle était jeune; elle était mise simplement, comme une fille du peuple.
Elle était belle, et il sembla à l'enfant qu'elle ressemblait à sa mère.
Il redoubla ses sanglots.
--Tu es perdu, n'est-ce pas? dit-elle.
--Je cherche maman, dit l'enfant.
--Comment s'appelle-t-elle, ta mère?

--Jenny.
--Tu es Irlandais?
--Oui, madame.
Et l'enfant pleurait toujours.
--Moi aussi, dit-elle, et je me nomme Suzannah.
--Veux-tu venir avec moi, je t'aiderai à retrouver ta mère?
Il la regarda encore, et son oeil exprimait une certaine défiance.
--Viens donc, mon mignon, reprit-elle; il ne sera pas dit que Suzannah
l'Irlandaise, la plus belle fille de Broke street, aura laissé un enfant de
sa nation mourir de froid et peut-être de faim.
Et elle prit l'enfant par la main avec une douce insistance.

II
Il n'y a pas de fortifications à Londres comme à Paris, pas de portes,
pas de grilles affectées à l'octroi.
L'octroi n'existe pas.
Londres ne finit pas, comme disent les gens du peuple. A part la cité
proprement dite, tout le reste est ce qu'on appelle l'_agglomération_.
Cela explique comment le petit Irlandais avait quitté Hampsteadt et
était revenu
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