Les misères de Londres | Page 4

Pierre Alexis de Ponson du Terrail
clartés du jour commen?ait à filtrer au travers du brouillard.
Sir John Waterley était cependant déjà levé et assis au chevet du lit de sa femme.
Tous deux causaient.
--Oh! mon enfant, mon cher enfant! disait madame Waterley; vous êtes bien s?r, John, que nous allons le retrouver?
--Oui, mon amie, répondit le major avec émotion.
--Vous ne vous figurez pas, mon cher trésor, reprenait la jeune femme, quels funestes pressentiments m'assaillent nuit et jour.
--Pourquoi ces pressentiments, mon amie?
--Il y a onze ans que nous n'avons eu des nouvelles de notre enfant.
--Je vous assure qu'il est vivant.
--Et moi, dit miss Emily, qui cacha sa tête dans ses mains, je n'ose croire à vos paroles.
--Vous êtes folle, ma chère. Je vous jure que nous le trouverons grand et robuste.
--Avez-vous donc si grande confiance en cette femme qui s'en est chargée?
Sir John tressaillit.
--Mais... sans doute... dit-il.
--Pauvre enfant, dit miss Emily, quel sera son avenir?
Il ne sera pas riche...
--Il sera soldat comme moi, dit le major.
--Ah! dit encore la jeune femme, pourquoi ne sommes-nous pas soumis à des lois plus justes? Mon père avait des millions, et mon fils sera pauvre...
Sir John baissa la tête et une larme silencieuse brilla dans ses yeux.
--Mon ange aimé, dit-il à sa jeune femme, j'ai fait demander un cab, et je vais courir à Dudley-street. C'est là que demeurait cette femme quand je suis parti, c'est là, je suis s?r, que je retrouverai notre fils.
--Mais, mon ami, dit miss Emily, pourquoi ne voulez-vous point que je vous accompagne? pourquoi voulez-vous retarder ma joie, si toutefois c'est une joie qui nous attend?
Et madame Waterley soupira et leva les yeux au ciel.
--Mon amie, répondit le major, je ne veux pas que vous m'accompagniez d'abord, parce que le voyage vous a brisée.
--Oh je suis forte!
--Ensuite, parce que la joie fait mal aussi bien que la douleur, et que je redoute pour vous les grandes émotions.
Restez, je vous en prie, je serai de retour avant une heure.
Et le major était sorti sur ces mots, s'était jeté dans un cab et avait dit au cocher de le conduire à Dudley-street.
La distance de Piccadilly au quartier irlandais est courte, et le major l'e?t franchie en quelques minutes.
Le coeur lui battait quand sa main se posa sur le bouton de la porte.
Pourtant le major était un homme énergique; il avait fait dix campagnes dans l'Inde comme l'attestait son visage bronzé, et il avait assisté à de rudes batailles.
Mais, en ce moment, une émotion si violente l'agitait qu'il hésita à entrer.
Comme si quelqu'un, à l'intérieur de la maison, e?t deviné son angoisse, la porte s'ouvrit avant que la sonnette e?t tinté.
En même temps une femme parut sur le seuil et regarda curieusement le major.
Ce n'était pas la vieille dame aux bésicles; c'était Mary l'écossaise, que mistress Fanoche avait envoyée à Londres, à l'issue de son entrevue avec le mystérieux personnage de la maison voisine.
Mary regarda donc le major et lui dit:
--Que demande Votre Honneur?
--Mistress Fanoche, dit-il.
--C'est ici, et vous êtes sans doute le major Waterley?
--Oui.
--Madame est à son cottage d'Hampsteadt, et elle m'a envoyée ici pour attendre Votre Honneur.
Sir John tremblait.
--Elle est à Hampstead avec le fils de Votre Honneur, ajouta Mary.
Le major jeta un cri et s'appuya au mur du vestibule, tant son émotion fut forte.
--Le fils de Votre honneur est un grand et bel enfant, dit encore Mary.
Le major n'en entendit pas davantage: il poussa la servante dans le cab, s'assit à c?té d'elle et cria au cocher:
--A Hampsteadt!
--Heath mount, ajouta Mary l'écossaise.
Le cocher avait un bon cheval dont le major accéléra encore la rapidité en promettant au cocher un bon pourboire, et en moins de trois quarts d'heure, le major arrivait au cottage.
Mistress Fanoche l'attendait dans son parloir.
Elle avait fait une toilette minutieuse, mis toutes ses bagues et tous ses bracelets.
--Mon fils! où est mon fils? dit le major en entrant.
Mistress Fanoche était souriante.
--Je comprends l'impatience de Votre Honneur, dit-elle. Néanmoins, je le supplie de m'écouter un moment. Le fils de Votre Honneur est bien portant, il est à deux pas d'ici, et je conduirai Votre Honneur dans cinq minutes, aussit?t que je lui aurai dit...
Le major s'assit et ma?trisa son impatience.
Mistress Fanoche reprit:
--J'ai fait élever l'enfant en Irlande par une robuste paysanne qu'il appelle sa mère.
Quand j'ai re?u la première lettre de Votre Honneur, je me suis empressée de les faire revenir tous deux.
--Mais pourquoi ne sont-ils pas ici? demanda le major.
--Que Votre Honneur daigne se mettre à la fenêtre.
--Bien, après?
--Voyez-vous le mur du jardin?
--Oui.
--Derrière, il y a l'habitation d'un vieux lord Irlandais, fabuleusement riche et qui a pris votre enfant en amitié.
--Ah! fit le major.
--Lord Vilmot n'a ni enfants, ni parents, et il voudrait adopter votre fils.
Le major tressaillit.
--Je tenais à vous dire cela, fit mistress Fanoche, afin que vous ne fussiez point trop étonné. Maintenant, si Votre Honneur veut me suivre...
--Vous allez me montrer
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