Les mille et une nuits | Page 8

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faisaient par avance retentir l'air de leurs gémissements. Ainsi,
au lieu des louanges et des bénédictions que le sultan s'était attirées
jusqu'alors, tous ses sujets ne faisaient plus que des imprécations contre
lui.
Le grand vizir, qui, comme on l'a déjà dit, était malgré lui le ministre
d'une si horrible injustice, avait deux filles, dont l'aînée s'appelait
Scheherazade, et la cadette Dinarzade.
Cette dernière ne manquait pas de mérite; mais l'autre avait un courage
au-dessus de son sexe, de l'esprit infiniment, avec une pénétration
admirable. Elle avait beaucoup de lecture et une mémoire si
prodigieuse, que rien ne lui avait échappé de tout ce qu'elle avait lu.
Elle s'était heureusement appliquée à la philosophie, à la médecine, à
l'histoire et aux arts; et elle faisait des vers mieux que les poètes les

plus célèbres de son temps. Outre cela, elle était pourvue d'une beauté
extraordinaire; et une vertu trèssolide couronnait toutes ses belles
qualités.
Le vizir aimait passionnément une fille si digne de sa tendresse. Un
jour qu'ils s'entretenaient tous deux ensemble, elle lui dit: «Mon père,
j'ai une grâce à vous demander; je vous supplie très- humblement de me
l'accorder. - Je ne vous la refuse pas, répondit- il, pourvu qu'elle soit
juste et raisonnable. - Pour juste, répliqua Scheherazade, elle ne peut
l'être davantage, et vous en pouvez juger par le motif qui m'oblige à
vous la demander. J'ai dessein d'arrêter le cours de cette barbarie que le
sultan exerce sur les familles de cette ville. Je veux dissiper la juste
crainte que tant de mères ont de perdre leurs filles d'une manière si
funeste. - Votre intention est fort louable, ma fille, dit le vizir; mais le
mal auquel vous voulez remédier me paraît sans remède. Comment
prétendez-vous en venir à bout? - Mon père, repartit Scheherazade,
puisque par votre entremise le sultan célèbre chaque jour un nouveau
mariage, je vous conjure, par la tendre affection que vous avez pour
moi, de me procurer l'honneur de sa couche.» Le vizir ne put entendre
ce discours sans horreur: «Ô Dieu! interrompit-il avec transport.
Avez-vous perdu l'esprit, ma fille? Pouvez-vous me faire une prière si
dangereuse? Vous savez que le sultan a fait serment sur son âme de ne
coucher qu'une seule nuit avec la même femme et de lui faire ôter la vie
le lendemain, et vous voulez que je lui propose de vous épouser?
Songez-vous bien à quoi vous expose votre zèle indiscret? - Oui, mon
père, répondit cette vertueuse fille, je connais tout le danger que je
cours, et il ne saurait m'épouvanter. Si je péris, ma mort sera glorieuse;
et si je réussis dans mon entreprise, je rendrai à ma patrie un service
important. - Non, dit le vizir, quoi que vous puissiez me représenter,
pour m'intéresser à vous permettre de vous jeter dans cet affreux péril,
ne vous imaginez pas que j'y consente. Quand le sultan m'ordonnera de
vous enfoncer le poignard dans le sein, hélas! il faudra bien que je lui
obéisse: quel triste emploi pour un père! Ah! si vous ne craignez point
la mort, craignez du moins de me causer la douleur mortelle de voir ma
main teinte de votre sang. - Encore une fois, mon père, dit
Scheherazade, accordez-moi la grâce que je vous demande. - Votre
opiniâtreté, repartit le vizir, excite ma colère. Pourquoi vouloir
vous-même courir à votre perte? Qui ne prévoit pas la fin d'une

entreprise dangereuse n'en saurait sortir heureusement. Je crains qu'il ne
vous arrive ce qui arriva à l'âne, qui était bien, et qui ne put s'y tenir. -
Quel malheur arriva-t-il à cet âne? reprit Scheherazade. - Je vais vous le
dire, répondit le vizir; écoutez-moi:

FABLE.
L'ÂNE, LE BOEUF ET LE LABOUREUR. «Un marchand très-riche
avait plusieurs maisons à la campagne, où il faisait nourrir une grande
quantité de toute sorte de bétail. Il se retira avec sa femme et ses
enfants à une de ses terres, pour la faire valoir par lui-même. Il avait le
don d'entendre le langage des bêtes; mais avec cette condition, qu'il ne
pouvait l'interpréter à personne, sans s'exposer à perdre la vie; ce qui
l'empêchait de communiquer les choses qu'il avait apprises par le
moyen de ce don.
«Il y avait à une même auge un boeuf et un âne. Un jour qu'il était assis
près d'eux, et qu'il se divertissait à voir jouer devant lui ses enfants, il
entendit que le boeuf disait à l'âne: «L'Éveillé, que je te trouve heureux,
quand je considère le repos dont tu jouis, et le peu de travail qu'on
exige de toi! Un homme te panse avec soin, te lave, te donne de l'orge
bien criblée, et de l'eau fraîche et nette. Ta plus grande peine est de
porter le marchand notre maître, lorsqu'il a quelque petit voyage à faire.
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