Les loups de Paris | Page 8

Jules Lermina
levant la tête, je poussai un cri à mon tour. A travers les fentes de la trappe qui s'était ouverte sous nos pieds, j'apercevais une lueur rouge, intense, sanglante.--Le feu! m'écriai-je.--Où cela?--Dans la maison du bandit... au-dessus de notre tête....
?--Bon! fit Lionel en riant, c'est la méthode contraria contrariis; seulement, comme si nous avions tous les allopathes du monde à nos trousses, nous sommes bien morts.
?Au même instant, il se fit auprès de nous un écroulement. Où? Comment? Par quel miracle? Je ne puis rien dire. Je me sentis saisi par le flot, entra?né dans une sorte de gouffre où mon corps jouait comme une épave... la nuit... un épouvantable fracas... mes membres se heurtaient à des corps durs qui me faisaient mal... Je comprends maintenant: la muraille s'était ab?mée sous les efforts de Lionel. Par quel étrange bonheur avons-nous été entra?nés vers la rivière? je ne le sais... je perdis connaissance... C'est alors que vous nous avez repêchés, Lionel et moi... J'en ai été quitte pour une fluxion de poitrine. Quant à mon cher et pauvre ami, je suis désespéré de ce que vous m'avez appris. C'est lui qui nous a sauvés!... C'est à vous de le sauver maintenant!...?
Archibald avait mis dans son récit une animation qui l'avait épuisé. Des gouttelettes de sueur perlaient sur son front.
--écoutez-moi, mon ami, reprit Armand. Votre guérison est certaine, et avant une semaine vous serez prêt à recommencer la lutte. Il ne faut pas nous le dissimuler, elle sera terrible. Le misérable Biscarre n'a disparu que pour mieux pouvoir dresser ses batteries. Attendons-nous à quelque coup de tonnerre éclatant tout à coup. Lionel nous manque; mais nous avons une nouvelle recrue, sur laquelle je compte beaucoup.
--De qui voulez-vous parler?
--De ce jeune homme que les frères Martin ont sauvé du suicide, de Martial. C'est une ame dévouée et un coeur énergique. Et je crois d'autant plus en lui que j'ai acquis une conviction... Martial est le fils d'un homme que j'ai trouvé assassiné au Cambodge, dans un de mes derniers voyages. Et je suis persuadé--ceci peut vous para?tre étrange--qu'à ce meurtre n'est pas étranger certain personnage que nous connaissons et qui joue à Paris un r?le mystérieux....
--Quel est ce personnage?
--M. de Belen.
--Ah! cette sorte de métis portugais... serait un assassin!
--Les preuves me manquent... un seul homme peut me les donner.
--Et cet homme....
--C'est So?ra, c'est l'être bizarre que j'ai recueilli le jour même où le père de Martial avait été assassiné.
--Mais quel rapport avec M. de Belen?
--Il y a quelques jours, lors du bal donné par le duc, So?ra, qui était venu me chercher pour me rendre au club, a entendu la voix de Belen et n'a pu réprimer son agitation.
--Vous l'avez interrogé?
--Certes; mais cet homme appartient à une race bizarre, soumise à des rites inconnus; depuis le soir où cette révélation soudaine a éclaté--du moins à ce que je suppose--So?ra s'est renfermé dans un mutisme absolu; il passe les journées et les nuits prosterné dans l'attitude de la prière, immobile comme un fakir indien... Et force m'est d'attendre que l'heure ait sonné où le dieu qu'il invoque lui aura permis de parler....
--N'avez-vous pas mis Martial en face de So?ra?
--Je vous comprends. Vous vous souvenez qu'à la vue de Martial, j'ai été frappé d'une ressemblance que je n'ai pu m'expliquer. En effet, ce jeune homme est le portrait vivant de son père, de ce vieillard que j'ai trouvé horriblement mutilé, expirant dans d'épouvantables tortures. Oui, le jour viendra où, si mes prévisions se réalisent, So?ra dira au fils toute la vérité; mais il règne dans cette aventure de profondes obscurités, que je cherche à percer. Par bonheur, mes études sur les langues asiatiques me fournissent quelques lueurs qui servent à me guider. Quoi qu'il en soit, je sens que le Club des Morts aura à punir en M. de Belen--et peut-être en un autre, que je ne vous nommerai pas encore--deux criminels... Ce jour-là, Archibald, si j'ai besoin de vous....
--Comme toujours, vous me trouverez prêt....
--Donc, prudence! attendez l'apparition de Biscarre... ne perdons pas de vue Belen, et notre oeuvre s'accomplira....
Un instant après, Armand, reconduit par Muflier, qui se confondait en salutations, sortait de l'h?tel d'Archibald.

II
SITUATION
La disparition de Mancal, outre l'émotion qu'elle avait causée dans le monde des capitalistes, plus ou moins compromis dans le sinistre, n'avait pas laissé que d'inquiéter certains de nos personnages, ou tout au moins de leur causer une impression profonde.
Seuls, Silvereal et la duchesse de Torrès le connaissaient sous son incarnation de Blasias; et de ce c?té, les nouvelles colportées par les journaux avaient été un véritable soulagement.
En effet, ni l'un ni l'autre ne doutait que Mancal-Blasias ne f?t mort.
Silvereal voyait dispara?tre un complice qui, un jour ou l'autre, pouvait devenir compromettant ou dangereux; mais ce complice lui avait laissé un conseil dont il entendait bien faire usage à l'occasion. Les
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