derniers jours de sa vie, l'avait uni à M. de Mauvillers.
Celui-ci aurait-il donc le courage, la cruauté de siéger, quand sur le banc des accusés se trouvait le fils de l'homme qui l'avait aimé, qui l'avait jadis aidé de son crédit et de sa fortune... car nul n'ignorait que M. de Costebelle, possesseur d'une des plus belles fortunes du pays, n'avait reculé devant aucun sacrifice pour sauver M. de Mauvillers de la ruine.
L'étonnement avait donc été profond quand on avait appris que le magistrat avait pris place au fauteuil de la présidence.
Avait-il donc quelque espoir de sauver l'accusé?
On se faisait encore cette illusion. Et pourtant les plus avisés secouaient la tête: ils avaient compris que le fanatisme politique étouffe trop souvent les sentiments humains.
Ceux qui connaissaient mieux M. de Mauvillers savaient que dans l'ame de cet homme il était un sentiment qui primait toutes les considérations, quelles qu'elles fussent: M. de Mauvillers était ambitieux; pour obtenir, pour conserver la faveur du souverain, il n'était pas de sacrifices, disons plus, de bassesses auxquelles il ne f?t résigné d'avance. Que lui importait le souvenir de son bienfaiteur? Le mot d'ordre était venu des Tuileries. Hésiter, c'était désobéir, c'était se condamner à une disgrace certaine. En haut lieu, on ne veut que des esclaves et les esclaves n'ont pas le droit de parler sentiment.
M. de Mauvillers, insoucieux de la réprobation qu'il encourait, avait eu le triste courage de rester à son poste.
Et l'audience se prolongeait.
Et de cette foule anxieuse s'élevait un murmure sourd qui grandissait avec l'attente.
Tout à coup il se fit une sorte de tumulte à la porte du Palais de Justice. Un officier parut, et de son épée adressa un signe au commandant de la gendarmerie. Les chevaux se cabrèrent et firent le vide autour d'eux. Un mot terrible, sinistre, courut dans les groupes. Les poitrines se serrèrent, des exclamations de colère et de désespoir se firent entendre.
Jacques de Costebelle était condamné à mort.
M. de Mauvillers avait bien mérité de ses ma?tres.
A ce moment, d'une maison qui s'élevait juste en face du Palais de Justice, une fenêtre s'était ouverte sans bruit. Elle était plongée dans l'obscurité et l'attention était trop vivement excitée ailleurs pour que cet incident f?t remarqué.
Une femme, enveloppée d'un manteau qui la cachait tout entière, la tête couverte d'un voile noir, s'était penchée sur la balustrade de fer, et, haletante, elle attendait.
Les portes du Palais de Justice s'ouvrirent brusquement, et à la lueur des torches portées par des soldats, le condamné parut.
Jacques était un jeune homme de haute taille, aux épaules vigoureuses; sous le reflet jaunatre de la flamme, on voyait s'accuser nettement ses traits rudes, mais empreints d'une enthousiaste énergie. Il était tête nue; ses cheveux noirs, plantés bas, faisaient ressortir la fra?cheur de son front mat et poli.
Le condamné allait être réintégré dans sa prison, en attendant l'exécution, déjà fixée au lendemain.
Comme, pour se rendre à la Grosse-Tour, il fallait nécessairement traverser une partie de la ville, au milieu de la foule, un nouveau détachement de soldats avait été requis pour prêter main-forte aux gendarmes.
Jacques, les mains liées, les jambes retenues par des entraves, attendait sur le perron du Palais de Justice le signal du départ.
Tout à coup, il leva les yeux....
La femme qui se trouvait à la fenêtre avait levé la main, et de cette main elle agitait un mouchoir....
Le jeune homme tressaillit: un frémissement convulsif le secoua tout entier; mais, se contenant par un effort de volonté, il inclina deux fois la tête.
--En marche! dit une voix.
Absorbé dans ses pensées, l'oeil fixé sur cette fenêtre obscure que lui seul voyait, Jacques n'entendit pas.
Une main se posa sur son épaule et le poussa rudement.
Une sorte de rugissement s'échappa de la poitrine du jeune homme: il fit un mouvement comme pour s'élancer, mais soudain un sourire passa sur ses lèvres:
--Allons! messieurs, dit-il, je vous suis.
Et le sinistre cortège, éclairé par les torches fumeuses, s'ébranla dans la direction du port.
Silencieuse et triste, la foule saluait.
II
PIERRE LE GEOLIER
Les prisons étant encombrées, le condamné à mort avait été enfermé, pour plus de s?reté, dans un des cachots souterrains de la Grosse-Tour, à l'entrée de la petite rade.
Le greffier du tribunal lui avait donné lecture de l'arrêt qui le condamnait à mort. L'exécution devait avoir lieu à sept heures du matin, sur l'esplanade de l'Arsenal.
Cette formalité remplie, la lourde porte s'était refermée sur celui que la prétendue justice des hommes avait frappé.
Jacques était seul.
L'obscurité était profonde: on entendait au dehors le pas des sentinelles et leurs voix qui se répondaient au loin; la mer mêlait son écho lent et sourd au bruissement du vent dans les mats qui craquaient.
Jacques, debout, le dos appuyé contre la muraille fruste, restait immobile, la tête penchée sur sa poitrine. Il rêvait. Douloureuse méditation!
Ainsi, tout était bien fini. A peine commencée, la vie s'arrêtait brusquement.
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