Les lois sociologiques | Page 9

Guillaume de Greef
l'enseignement de toutes les écoles, instituts ou facultés, dont l'ensemble constitue l'Instruction supérieure. Sans l'initiation à cette philosophie générale, les spécialistes non seulement ne pourront jamais être que des particularistes très bornés et sujets à toutes les divagations dès qu'ils seront, comme c'est inévitable pour tout homme vivant en société, entra?nés à sortir du domaine restreint de leur activité ordinaire, mais ils en arriveront même à être des spécialistes inférieurs en intelligence à ceux de leurs confrères dont l'équilibre intellectuel n'aura pas été déformé comme le leur par l'exercice de facultés isolées. Il se produira, et il s'est malheureusement produit déjà, dans le domaine des professions dites libérales, le même phénomène qui s'est manifesté dans le domaine industriel: la division excessive et sans contrepoids du travail amènera l'automatisme machinal et finalement une atrophie mentale générale.
L'enseignement doit donc être intégral à tous les degrés; il commencera par être concret et, à mesure qu'il se différenciera en spécialités professionnelles, cette division nécessaire sera compensée par une généralisation et une abstraction progressives non moins nécessaires. Les spécialités les plus éminentes, si elles ne sont pas constamment dans un rapport harmonique, avec le surplus de la structure sociale, n'apparaissent plus, en définitive, que comme des déviations et des déformations organiques; les gibbosités les plus hautes n'ont jamais, en aucun temps, été considérées comme un attribut de la beauté; les difformités intellectuelles ne le sont pas davantage au point de vue de la plastique du corps social.
De tout ce qui précède il résulte, avec non moins d'évidence, qu'il existe, dans la législation qui règle notre enseignement supérieur, des lacunes et des vices considérables. Les conditions physiologiques, psychiques, logiques, historiques et dogmatiques que nous avons brièvement exposées ci-dessus, conditions actuellement reconnues par tous les hommes de science, constituent, en réalité, les lois nécessaires, c'est-à-dire naturelles, qui doivent présidera l'organisation de tout enseignement notamment supérieur.
Or, non seulement la sociologie abstraite et même concrète est écartée des programmes officiels, mais par quelle aberration, si ce n'est par une réminiscence théologique et métaphysique inconcevable dans l'état de nos connaissances, a-t-on pu, par exemple, placer la Faculté de philosophie, au point de vue de l'ordre des études, avant les autres facultés, notamment celle de droit? Il est évident, pour peu qu'on y réfléchisse, que la philosophie ne peut consister que dans la recherche des lois dégagées par l'étude de toutes les sciences antérieures; c'est à cette condition seulement qu'elle peut être elle-même une philosophie positive ou scientifique. La philosophie des sciences en général et des sciences sociales en particulier ne peut donc être que le couronnement, la terminaison naturelle de ces dernières; son enseignement final devrait réunir dans un même auditoire les étudiants de toutes les Facultés après l'achèvement de leurs études professionnelles, c'est-à-dire spéciales. L'ordre antinaturel et imparfait actuel ne s'explique précisément que par le caractère soit théologique, soit métaphysique de l'enseignement philosophique dominant.
Voilà pour la philosophie en général. En ce qui concerne la psychologie en particulier, elle est une dépendance de la physiologie, elle ne peut donc et ne doit être enseignée qu'après une initiation physiologique suffisante; la dernière loi sur l'enseignement universitaire, en Belgique, a déjà partiellement reconnu cette dépendance nécessaire; il faut l'affirmer d'une fa?on de plus en plus nette; il faut insister notamment sur ce que l'enseignement d'une physiologie psychique purement scientifique est le véritable préliminaire à l'étude des sciences sociales et notamment de toutes celles qui sont enseignées dans les facultés de droit. Le droit lui-même et surtout le droit criminel ont leurs fondements dans notre structure biologique et psychique; la théorie de la responsabilité pénale n'est qu'un cas particulier de la théorie de la responsabilité morale; l'une et l'autre sont conditionnées par la psycho-physiologie; même toute là théorie du consentement, celle des conventions et des obligations en droit civil sont à réviser dans ce sens; ici également l'ancienne métaphysique doit être expulsée par la philosophie positive.[2]
L'ordre logique, historique et dogmatique de l'ensemble de toutes les sciences particulières nous montre déjà par lui-même ce qu'il faut entendre par loi au sens scientifique de ce mot: _la loi est le rapport nécessaire qui existe entre tout phénomène et les conditions où ce phénomène appara?t._ Le tableau hiérarchique des sciences depuis les mathématiques jusqu'à la sociologie, est la formule d'une loi à la fois statique et dynamique; statique en ce sens que l'ordre nécessaire de l'organisme scientifique est tel que les sciences les plus spéciales et les plus complexes reposent sans exception sur des sciences plus générales et plus simples; dynamique en ce sens que dans leur activité et notamment dans leur évolution à la fois historique et logique elles obéissent à la même loi, au même ordre, déterminés par les mêmes conditions.
Voyons maintenant par quelles méthodes nous pouvons reconna?tre et dégager les lois scientifiques des phénomènes en général et notamment des phénomènes sociologiques.

CHAPITRE II
LES LOIS
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