Les joyeuses Bourgeoises de Windsor | Page 6

William Shakespeare

SLENDER.--Eh bien! s'il en est ainsi, je veux bien l'épouser, sous
toutes conditions raisonnables.
EVANS.--Mais pouvez-vous aimer cette femme? Apprenez-nous cela
de votre bouche ou de vos lèvres; car divers philosophes soutiennent
que les lèvres sont une portion de la bouche: en conséquence, parlez
clair et net. Êtes-vous porté de bonne volonté pour cette fille?
SHALLOW.--Cousin Abraham Slender, pourrez-vous l'aimer?
SLENDER.--Je l'espère, monsieur; j'agirai comme il convient à un
homme qui veut agir par raison.
EVANS.--Eh! non. Par les bienheureuses âmes d'en haut, vous devez

répondre de ce qui est possible. Pouvez-vous tourner vos désirs vers
elle.
SHALLOW.--C'est ce qu'il faut nous dire: si elle a une bonne dot,
voulez-vous l'épouser?
SLENDER.--Je ferais bien plus encore à votre recommandation, mon
cousin, toute raison gardée.
SHALLOW.--Eh! non. Concevez-moi donc, comprenez-moi, cher
cousin; ce que je fais, c'est pour vous faire plaisir: vous sentez-vous
capable d'aimer cette jeune fille?
SLENDER.--Je l'épouserai, monsieur, à votre recommandation. Si
l'amour n'est pas grand au commencement, le ciel pourra bien le faire
décroître sur une plus longue connaissance, quand nous serons mariés
et que nous aurons plus d'occasions de nous connaître l'un l'autre.
J'espère que la familiarité engendrera le mépris. Mais, si vous me dites,
épousez-la, je l'épouserai; c'est à quoi je suis très-dissolu, et
très-dissolument.
EVANS.--C'est répondre très-sagement, excepté la faute qui est dans le
mot dissolu; dans notre sens, c'est résolu qu'il veut dire. Son intention
est bonne.
SHALLOW.--Oui, je crois que mon neveu avait bonne intention.
SLENDER.--Oui, ou je veux bien être pendu, là!
(Rentre Anne Page.)
SHALLOW.--Voici la belle mistriss Anne. Je voudrais rajeunir pour
l'amour de vous, mistriss Anne.
ANNE.--Le dîner est sur la table; mon père désire l'honneur de votre
compagnie.
SHALLOW.--Je suis à lui, belle mistriss Anne.

EVANS.--La volonté de Dieu soit bénie! Je ne veux pas être absent au
bénédicité.
(Sortent Shallow et Evans.)
ANNE.--Vous plaît-il d'entrer, monsieur?
SLENDER.--Non, je vous remercie, en vérité, de bon coeur: je suis fort
bien.
ANNE.--Le dîner vous attend, monsieur.
SLENDER.--Je ne suis point un affamé: en vérité je vous remercie. (A
Simple.) Allez, mon ami; car, après tout, vous êtes mon domestique;
allez servir mon cousin Shallow. (Simple sort.) Un juge de paix peut
avoir quelquefois besoin du valet de son ami, voyez-vous. Je n'ai
encore que trois valets et un petit garçon, jusqu'à ce que ma mère soit
morte: mais qu'est-ce que ça fait? en attendant je vis encore comme un
pauvre gentilhomme.
ANNE.--Je ne rentrerai point sans vous, monsieur; on ne s'assiéra point
à table que vous ne soyez venu.
SLENDER.--Sur mon honneur, je ne mangerai pas. Je vous remercie
tout autant que si je mangeais.
ANNE.--Je vous prie, monsieur, entrez.
SLENDER.--J'aimerais mieux me promener par ici. Je vous
remercie.--J'ai eu le menton meurtri l'autre jour en tirant des armes avec
un maître d'escrime. Nous avons fait trois passades pour un plat de
pruneaux cuits: depuis ce temps je ne puis supporter l'odeur de la
viande chaude.--Pourquoi vos chiens aboient-ils ainsi? Avez-vous des
ours dans la ville?
ANNE.--Je pense qu'il y en a, monsieur, je l'ai entendu dire.
SLENDER.--J'aime fort ce divertissement, voyez-vous; mais je suis
aussi prompt à me fâcher que qui que ce soit en Angleterre.--Vous avez

peur quand vous voyez un ours en liberté, n'est-ce pas?
ANNE.--Oui, en vérité, monsieur.
SLENDER.--Oh! actuellement c'est pour moi boire et manger. J'ai vu
Sackerson en liberté vingt fois, et je l'ai pris, par sa chaîne. Mais, je
vous réponds, les femmes criaient et glapissaient que cela ne peut pas
s'imaginer: mais les femmes, à la vérité, ne peuvent pas les souffrir; ce
sont de grosses vilaines bêtes.
(Rentre Page.)
PAGE.--Venez, cher monsieur Slender, venez; nous vous attendons.
SLENDER.--Je ne veux rien manger: je vous rends grâces, monsieur.
PAGE.--De par tous les saints, vous ne ferez pas votre volonté: allons,
venez, venez.
(Le poussant pour le faire avancer.)
SLENDER.--Non, je vous prie; montrez-moi le chemin.
PAGE.--Passez donc, monsieur.
SLENDER.--C'est vous, mistriss Anne, qui passerez la première.
ANNE.--Non pas, monsieur; je vous prie, passez.
SLENDER.--Vraiment, je ne passerai pas le premier; non, vraiment, là,
je ne vous ferai pas cette impolitesse.
ANNE.--Je vous en prie, monsieur.
SLENDER.--J'aime mieux être incivil qu'importun. C'est vous-même
qui vous faites impolitesse, là, vraiment.
(Ils sortent.)

SCÈNE II
Au même endroit.
Entrent sir HUGH EVANS et SIMPLE.
EVANS.--Allez droit devant vous, et enquérez-vous du chemin qui
mène au logis du docteur Caius. Il y a là une dame Quickly qui est chez
lui comme une manière de nourrice, ou de bonne, ou de cuisinière, ou
de blanchisseuse, ou de laveuse et de repasseuse.
SIMPLE.--C'est bon, monsieur.
EVANS.--Non pas; il y a encore quelque chose de mieux. Donnez-lui
cette lettre; c'est une femme qui est fort de la connaissance de mistriss
Anne Page. Cette lettre est pour lui demander et la prier de solliciter la
demande de votre maître auprès de
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 39
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.