sont
beaux dans tous les temps; nul appel à la conscience humaine; nul élan
vers une justice plus haute; nul accent d'amour ou de piété pour les
hommes. Ces mots se trouvent, il le faut bien, dans ses harangues; mais
les choses mêmes n'y sont pas, puisqu'elles n'étaient pas dans son âme.
Il y a des cordes que les orateurs de second ordre, un Rabaut Saint-
Etienne, un Thouret, savent faire vibrer, et que Mirabeau ne touche
jamais. Qu'on ne s'y trompe pas: c'est là le caractère de cet orateur,
d'avoir été grand sans puiser son inspiration aux sources morales; ç'a
été son originalité et sa faiblesse à la fois.
Comment donc se fait-il applaudir? D'abord par son incontestable
patriotisme, par les paroles vraiment nationales qu'il sait prononcer
avec un accent vrai, et puis par la manière émouvante dont il parle de
lui, encore de lui, toujours de lui. C'est sans cesse son moi tragique et
superbe qui occupe la scène. Ses discours ne sont qu'une vaste apologie
de sa personne, un plaidoyer sans cesse renouvelé, une recherche
acharnée et une revendication anxieuse de l'estime des hommes, qu'il
va conquérir et qui lui échappe toujours. Le sentiment qui anime cette
éloquence, ce n'est pas la dignité, c'est l'orgueil. Ange déchu, il vante
ses fautes et justifie sa vie devant ses contemporains, exaltant dans un
style passionné ses souffrances et ses colères. Que ce soit aux États de
Provence, à l'Assemblée constituante, lors de l'affaire du Châtelet, ou
encore dans sa correspondance secrète avec la cour, je retrouve partout
cette même poursuite de la réhabilitation. C'est peu d'être admiré: il
veut être estimé, et, naïvement, il intrigue pour forcer l'estime.
L'Assemblée ne se lasse pas de cette magnifique apologie; elle
applaudit sans accorder ce qu'on lui demande, pas même la présidence,
qu'on n'obtiendra qu'une fois, et encore en mendiant les voix de
l'extrême droite. Le jour où Mirabeau touche au ministère, à un
honneur qui peut refaire sa réputation, l'Assemblée le précipite en
souriant. Ses idées, elle les accueille, elle les vote; mais sa personne,
elle n'en veut pas. Ses oreilles sont flattées de cette éloquence
incomparable; sa raison en est satisfaite: son coeur n'en est pas touché.
C'est un duel qui l'intéresse et qui désespère Mirabeau: il en meurt.
_III.--LES DISCOURS DE MIRABEAU_
Justifions ces remarques générales sur la politique et l'inspiration
oratoire de Mirabeau par quelques exemples empruntés à ses
principaux discours.
Aux États de Provence, il défend le règlement royal contre la noblesse
qui voulait faire les élections selon l'antique constitution de la «nation
provençale». C'est là pour lui un admirable terrain, qui lui donne
confiance et lui permet de lutter contre le mépris de ses collègues: «Si
la noblesse veut m'empêcher d'arriver, disait-il, il faudra qu'elle
m'assassine, comme Gracchus.» Cependant les outrages dont on
l'abreuva, malgré sa bonne volonté, le forcèrent à prendre une allure
d'opposition qui était bien loin de ses principes. «Ces gens-là, écrivait-il
alors, me feraient devenir tribun du peuple malgré moi, si je ne me
tenais pas à quatre.» Il tenait néanmoins à l'estime de la noblesse et il
chercha à se justifier devant elle dans un discours que la prorogation
des Etats l'empêcha de prononcer, mais qu'il fit imprimer et répandre.
C'est la première en date de ses justifications publiques:
«Qu'ai-je donc fait de si coupable? J'ai désiré que mon ordre fût assez
habile pour donner aujourd'hui ce qui lui sera infailliblement arraché
demain; j'ai désiré qu'il s'assurât le mérite et la gloire de provoquer
l'assemblée des trois ordres, que toute la Provence demande à l'envi....
Voilà le crime de l'ennemi de la paix! ou plutôt j'ai cru que le peuple
pouvait avoir raison.... Ah! sans doute, un patricien souillé d'une telle
pensée mérite des supplices! Mais je suis bien plus coupable qu'on ne
suppose, car je crois que le peuple qui se plaint a toujours raison; que
son infatigable patience attend constamment les derniers excès de
l'oppression pour se résoudre à la résistance; qu'il ne résiste jamais
assez longtemps pour obtenir la réparation de tous ses griefs; qu'il
ignore trop que, pour se rendre formidable à ses ennemis, il lui suffirait
de rester immobile, et que le plus innocent comme le plus invincible de
tous les pouvoirs est celui de se refuser à faire.... Je pense ainsi;
punissez l'ennemi de la paix.»
S'adressant aux nobles et aux membres du clergé, il profère ces paroles
menaçantes et souvent citées:
«Dans tous les pays, dans tous les âges, les aristocrates ont
implacablement poursuivi les amis du peuple, et si, par je ne sais quelle
combinaison de la fortune, il s'en est élevé quelqu'un de leur sein, c'est
celui-là surtout qu'ils ont frappé, avides qu'ils étaient d'inspirer la
terreur par le choix de la victime. Ainsi périt le dernier des Gracques de
la main des
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