Les grandes journées de la Constituante | Page 5

Albert Mathiez
à l'anglaise, avec la branche régnante de la dynastie. Lorsque d'André vit les gardes du corps s'avancer pour exécuter l'ordre dont je viens de parler: ?Eh quoi! s'écrie-t-il, aurions-nous la lacheté de laisser égorger sous nos yeux et sans aucune démarche vigoureuse pour en empêcher, des hommes qui nous donnent un si bel exemple de fermeté et de dévouement! Marchons au-devant des escadrons et sauvons les députés des communes ou périssons avec eux.? Ils partent tous à l'instant; ils barrent le chemin au détachement, enfoncent leurs chapeaux empanachés, mettent l'épée à la main et déclarent au commandant qu'il leur passera sur le corps à tous avant qu'il parvienne aux députés des communes, que c'était à lui à juger les conséquences. Le commandant répond d'abord qu'il ne conna?t que ses ordres, et fait un mouvement pour se porter en avant et leur passer sur le corps. Mais ces braves gens étant restés inébranlables à l'approche de cette cavalerie, le commandant n'osa pas aller plus loin; il retourna au chateau rendre compte de ce qui s'était passé et demander de nouveaux ordres. La Cour effrayée, irrésolue, donna l'ordre de rétrograder. Le fait est notoire et je n'ai aucun doute sur les détails. D'André n'est ni imposteur ni fanfaron, et tous les hommes que je viens de citer étaient capables de toutes sortes de grandes et belles actions. [Note: Mémoires de La Révellière-Lépeaux, t. I, pp. 82-84.]
LA DéMISSION DE NECKER
Des cris de Vive Necker se faisaient entendre jusqu'au chateau. On voulait le voir, on voulait le prier de rester à la tête des affaires. Dans l'intervalle, il a été demandé chez la reine. Le peuple l'y a suivi, et les cours du chateau sont restées pleines de monde. M. Necker a passé un instant chez le roi pour lui rendre compte que toutes les caisses étaient fermées à Paris, que la ville entière était prête à se soulever, et que les directeurs de la Caisse d'Escompte arrivaient dans le moment de Paris lui annoncer tous les dangers dont la Caisse était menacée. Le roi a senti que le remède à ces maux était la conservation de son ministère. Il a même exigé dit-on que M. Necker allat depuis le Chateau jusqu'au Contr?le général à pied, pour se montrer au peuple et l'assurer qu'il restait. Les rues, les fenêtres retentissaient d'applaudissements et de cris répétés de Vive Necker! Dans un instant tous les députés du Tiers-état se sont rendus chez M. Necker pour le féliciter et applaudir avec lui au bonheur de la nation qui le conserve. On l'embrassait, on embrassait Mme Necker et la baronne de Sta?l, le public embrassait les députés du Tiers, les applaudissait, criait: Vive Necker, vive l'Assemblée nationale! [Note: Journal de l'abbé Coster, dans A. Brette, La Révolution fran?aise, t. XXIII, pp. 66-67.]
L'INSUBORDINATION DE L'ARMéE
Le jeudi [25 juin 1789], les soldats du régiment des Gardes fran?aises ayant abandonné leurs casernes s'étaient répandus dans Paris, allant par bandes dans tous les lieux publics, criant: Vive le Roi, Vive le Tiers! allant boire dans les cabarets, obtenant de l'argent de plusieurs fanatiques qui leur en distribuaient des poignées. Crainte d'une révolte générale, on n'osa les consigner. Le vendredi, ils se répandirent de même dans tous les endroits publics, firent mettre bas les armes à plusieurs patrouilles des gardes suisses qu'ils rencontrèrent et publièrent les deux imprimés ci-joints. M. du Chatelet, accouru à Paris, parvint, en allant lui-même à chaque caserne, à les contenir hier samedi. Et la réunion effectuée ne laissant pas d'animosité entre les partis, il faut espérer qu'on n'aura pas besoin de se servir des troupes, sur lesquelles V.E. voit qu'on ne pourrait faire aucun fonds.
J'apprends à l'instant que le Roi ne peut pas compter davantage sur ses propres gardes du corps. Un maréchal des logis, bas-officier avec rang de lieutenant-colonel, est venu dire, au nom de la troupe, au duc de Guiche, capitaine de quartier, que leur devoir était de garder et de protéger la personne du Roi, mais non de monter à cheval pour se battre avec la canaille; qu'en conséquence ils ne feraient point de patrouilles. Le duc Guiche a cassé le bas-officier. Sur quoi les gardes du corps sont venus présenter au Roi un mémoire, où, en l'assurant de leur attachement pour sa personne, ils ont demandé son rétablissement. Le Roi a mis au bas du mémoire: ?j'ai toujours compté sur la fidélité de mes gardes du corps?, et il le leur a rendu. Les gardes ont fait dire à M. de Guiche que si on ne leur rendait point leur camarade, à la fin de leur service qui se termine avec le mois de juin, le Roi pouvait disposer de 600 bandoulières, ce qui fait la moitié de tout le corps, y ayant dans ce moment double garde.
Les régiments de Reinach (Suisse) et de
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