Les grandes journées de la Constituante | Page 3

Albert Mathiez

Enfin la séance royale arriva; elle eut tout l'appareil extérieur qui
naguère en imposait à la multitude; mais ce n'est pas un trône d'or ni un
superbe dais, ni des hérauts d'armes, ni des panaches flottants qui
intimident des hommes libres. La cour ignorait encore cette vérité,
qu'on retrouve partout dans toutes les histoires. La garde nombreuse qui
entourait la salle n'effraya pas les députés; elle accrut au contraire leur
courage. On répéta la faute qu'on avait faite le 5 mai, de leur affecter
une porte séparée et de les laisser exposés dans le hangar qui la
précédait, à une pluie assez violente, pendant que les autres ordres
prenaient leurs places distinguées; enfin ils furent introduits.

Le discours et les déclarations du roi eurent pour objet de conserver la
distinction des ordres, d'annuler les fameux arrêtés de la constitution
des communes en assemblée nationale, d'annoncer en trente-cinq
articles les bienfaits que le roi accordait à ses peuples, et de déclarer à
l'assemblée que, si elle l'abandonnait, il ferait le bien des peuples sans
elle. D'ailleurs toutes les formes impératives furent employées, comme
dans ces lits de justice où le roi venait semoncer le parlement. Dans ces
bienfaits du roi promis à la nation, il n'était parlé ni de la Constitution
tant demandée, ni de la participation des états généraux à la législation,
ni de la responsabilité des ministres, ni de la liberté de la presse; et
presque tout ce qui constitue la liberté civile et la liberté politique était
oublié. Cependant les prétentions des ordres privilégiés étaient
conservées, le despotisme du maître était consacré et les états généraux
abaissés sous son pouvoir. Le prince ordonnait et ne consultait pas; et
tel fut l'aveuglement de ceux qui le conseillèrent qu'ils lui firent
gourmander les représentants de la nation, et casser leurs arrêtés
comme si c'eût été une assemblée de notables. Enfin, et c'était le grand
objet de cette séance royale, le roi ordonna aux députés de se séparer
tout de suite, et de se rendre le lendemain matin dans les chambres
affectées à chaque ordre pour y reprendre leurs séances.
Il sortit. On vit s'écouler de leurs bancs tous ceux de la noblesse et une
partie du clergé. Les députés des communes, immobiles et en silence
sur leurs sièges, contenaient à peine l'indignation dont ils étaient
remplis, en voyant la majesté de la nation si indignement outragée. Les
ouvriers, commandés à cet effet, emportent à grand bruit ce trône, ces
bancs, ces tabourets, appareil fastueux de la séance; mais, frappés de
l'immobilité des pères de la patrie, ils s'arrêtent et suspendent leur
ouvrage. Les vils agents du despotisme courent annoncer au roi ce
qu'ils appellent la désobéissance de l'assemblée.... [Note: Rabaut, op.
cit., pp. 58-59.]
A ce récit de Rabaut Saint-Étienne, Montjoye ajoute ce détail qu'«à
l'instant même où le roi se plaça sur son trône, tous les députés des trois
ordres, par un mouvement simultané, s'assirent et se couvrirent et ils
étaient déjà assis et couverts lorsque M. le garde des sceaux dit: le roi
permet à l'Assemblée de s'asseoir.»

LES DÉCLARATIONS DU ROI
Le roi veut que l'ancienne distinction des trois ordres de l'État soit
conservée en son entier, comme essentiellement liée à la constitution de
son royaume; que les députés librement élus par chacun des trois ordres,
formant trois chambres, délibérant par ordre, et pouvant, avec
l'approbation du souverain, convenir de délibérer en commun, puissent
seuls être considérés comme formant le corps des représentans de la
nation. En conséquence, le roi a déclaré nulles les délibérations prises
par les députés de l'ordre du Tiers-État le 17 de ce mois ainsi que celles
qui auraient pu s'ensuivre, comme illégales et inconstitutionnelles (Décl.
I. 1).
Sont nommément exceptées des affaires qui pourront être traitées en
commun celles qui regardent les droits antiques et constitutionnels des
trois ordres, la forme de constitution à donner aux prochains
États-Généraux, les propriétés féodales et seigneuriales, les droits utiles
et les prérogatives honorifiques des deux premiers ordres (id. 8).
Le consentement particulier du clergé sera nécessaire pour toutes les
dispositions qui pourraient intéresser la religion, la discipline
ecclésiastique, le régime des ordres et corps séculiers et réguliers (id.
9).
Les affaires qui auront été décidées dans les assemblées des trois ordres
réunis seront remises le lendemain en délibération si cent membres de
l'Assemblée se réunissent pour en faire la demande (id. 12).
Toutes les propriétés sans exception seront constamment respectées et
S.M. comprend expressément sous le nom de propriétés les dîmes, cens,
rentes, droits et devoirs féodaux et seigneuriaux, et généralement tous
les droits et prérogatives utiles ou honorifiques, attachés aux terres et
fiefs, ou appartenant aux personnes (Décl. II. 12).
Les deux premiers ordres de l'État continueront à jouir de l'exception
des charges personnelles, mais le roi approuvera que les
États-Généraux s'occupent des moyens de convertir
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