aveugle, que les habitudes vicieuses de Fadart, dit _Liche-��-l'oeil_, jeune surnum��raire parisien, qui se galvaude dans tous les caboulots latins.
Bref, le cerveau de M. Le Campion est un v��ritable bureau �� compartiments, divis�� en une infinit�� de casiers administratifs. Dans les lobes de ce cerveau, chaque employ�� a son dossier, avec pi��ces �� l'appui. Le tout ferme �� secret.
Le secret!... mais c'est la condition m��me de l'existence du chef du personnel. Aussi, fait-il de la discr��tion �� outrance. On l'a quelquefois entendu parler, jamais r��pondre. Il fuit les mots pr��cis. Oui et non sont ray��s de son vocabulaire. Autant vaudrait interroger la sibylle de Cumes. Ce n'est qu'avec les pr��cautions les plus humiliantes pour son interlocuteur, qu'il ouvrira en sa pr��sence le tiroir o�� il serre ses plumes et ses crayons; il tremble sans doute de laisser s'��vaporer le myst��re de l'alchimie bureaucratique...
Cet homme imp��n��trable est le grand ressort du minist��re, un ressort d'acier. C'est sur sa pr��sentation que se font toutes les nominations et toutes les promotions. Il est le dispensateur de l'avancement, dispensateur avare; �� lui s'adressent tous les voeux, �� lui toutes les pri��res; il est de la part du peuple employ�� l'objet d'un culte analogue �� celui que le lazzarone napolitain professe pour son grand saint Janvier. Le fanatisme y touche de pr��s �� l'insulte, l'adoration �� l'outrage. Le miracle de l'avancement ou de la gratification a-t-il eu lieu, Dieu ne fait pas fleurir assez de roses pour le saint Janvier de l'��quilibre; mais le bienheureux du personnel a-t-il fait la sourde oreille, ce n'est plus du rez-de-chauss��e aux combles de la maison qu'un formidable concert d'invectives et d'impr��cations. Impassible, il ne sait rien de cet orage.
Lorsque, du m��me pas m��thodique, son parapluie sous le bras, drap�� dans son nuage de myst��re, il traverse les corridors, la crainte et l'espoir ferment toutes les bouches et d��couvrent toutes les t��tes.
La renomm��e, qui grossit tout, exag��re certainement l'omnipotence du chef du personnel, et les employ��s de province qui, chaque ann��e, font deux cents lieues pour tenir le bougeoir �� son petit lever, n'auraient peut-��tre pas tort de faire cette ��conomie de bouts de chandelles. Non, Le Campion n'est pas tout-puissant; non, Le Campion ne fait pas tous les jours ce qu'il veut; il est juste, mais il n'est pas le ma?tre; il propose le plus m��ritant, et le plus prot��g�� est nomm��. Il est juste, et il fait des injustices; mais chacune de ces injustices est comme une ��pine cruelle qui h��risse son oreiller et trouble la nuit les r��ves de sa conscience.
V
Quels pensers agitaient l'homme int��rieur dans Caldas depuis tant?t trois minutes qu'il se tenait au port d'armes, le chapeau �� la main, le coeur palpitant sous son gilet (��toffe anglaise)?
Il m'en co?te peu de l'avouer. Caldas ne pensait �� rien. La majest�� silencieuse de cette r��ception avait subitement cristallis�� les id��es du nouveau.
Le chef du personnel voulut bien enfin s'apercevoir qu'il y avait quelqu'un l��. Par habitude il cacha pr��cipitamment une feuille de papier blanc et son grattoir, souleva l��g��rement ses lunettes et... peut ��tre allait-il parler quand la peur du ridicule d��liant tout �� coup la langue de Caldas:
--Monsieur, dit-il, vous m'avez fait l'honneur de m'appeler...
M. Le Campion, qui ne s'est jamais d��menti, ne r��pondit ni oui ni non...
Caldas continua:
--Vous avez bien voulu me convoquer par une lettre...
Et il cherchait dans toutes ses poches...
M. Le Campion avan?a la main.
Caldas cherchait toujours avec rage, avec fr��n��sie, sans rien trouver.... Il ne connaissait pas la topographie de son v��tement neuf; depuis avant-hier on portait les poches de c?t�� sur les hanches, et Krugenstern ne l'avait pas initi�� �� ce d��tail.
La main de M. Le Campion, toujours tendue vers lui, avait des fr��missements d'impatience; il le voyait clairement, et l'horreur de cette situation paralysait ses moyens. Il se reprenait �� fouiller dans une poche d��j�� explor��e cinq fois.
--Canaille de tailleur! pensait-il, idiot, Allemand! me pousser dans un habit dont je ne connais pas les d��pendances! De quoi ai-je l'air? d'avoir lou�� une frusque chez le fripier.
Enfin, abandonnant toute vergogne, il posa son chapeau �� terre, et se palpant par devant, par derri��re, de droite et de gauche dans un supr��me effort, il r��ussit �� trouver la lettre fatale qu'il glissa respectueusement dans la main toujours tendue de M. le chef du personnel.
--Vous ��tes M. Romain Caldas? demanda M. Le Campion en jetant les yeux sur cette lettre qui portait sa signature.
--Oui, Monsieur.
M. le chef du personnel toisa rapidement le nouveau: il lui prenait sa mesure administrative. Du reste, pas un pli sur sa physionomie qui p?t indiquer s'il ��tait ou non satisfait de son examen. Il reprit avec solennit��:
--Vous voulez suivre, Monsieur, la carri��re de l'administration; c'est une p��nible et laborieuse carri��re, f��conde en d��ceptions, et que vous ne connaissez sans doute pas encore; mais vous avez fait
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