Les femmes dartistes | Page 4

Alphonse Daudet
je crois qu'en d��finitive cette fausse ��l��gance de boutique, ces fa?ons pr��tentieuses, bouche pinc��e, petit doigt en l'air, l'avaient ��bloui comme le dernier mot de la distinction parisienne, car il ��tait n�� paysan et, au fond, malgr�� son esprit, il le resta toujours.
Tent�� de bonheur paisible, de cette vie de famille dont il ��tait priv�� depuis si longtemps, Heurtebise passa deux ans loin de ses amis, s'enfouissant �� la campagne, dans des coins de banlieue, toujours �� la port��e de ce grand Paris, qui le troublait et dont il recherchait l'atmosph��re affaiblie, comme ces malades auxquels on ordonne l'air de la mer, mais qui, trop d��licats pour le supporter, viennent le respirer �� quelques lieues de distance. De loin en loin son nom apparaissait dans un journal, dans une revue, au bas d'un article; mais d��j�� ce n'��tait plus cette verdeur de style, ces emportements d'��loquence qu'on lui avait connus. Nous pensions: ?Il est trop heureux... son bonheur le gate.?
Puis un jour il revint parmi nous, et nous v?mes bien qu'il n'��tait pas heureux. Sa mine palie, ses traits resserr��s, contract��s par un perp��tuel agacement, la violence de ses mani��res rapetiss��e en col��re nerveuse, son beau rire sonore d��j�� f��l��, en faisaient un tout autre homme. Trop fier pour convenir qu'il s'��tait tromp��, il ne se plaignait pas, mais les anciens amis auxquels il rouvrit sa maison purent vite se convaincre qu'il avait fait le plus sot des mariages, et que sa vie ��tait d��sormais hors de voie. Par contre, Mme Heurtebise nous apparut, apr��s deux ans de m��nage, telle que nous l'avions vue dans la sacristie, le jour des noces. Son m��me sourire, minaudier et calme, son m��me air de boutiqui��re endimanch��e; seulement l'aplomb lui ��tait venu. Elle parlait maintenant. Dans les discussions artistiques o�� Heurtebise se lan?ait passionn��ment, avec des jugements absolus, le m��pris brutal ou l'enthousiasme aveugle; la voix mielleuse et fausse de sa femme venait tout �� coup l'interrompre, l'obligeant �� ��couter quelque raisonnement oiseux, quelque r��flexion sotte toujours en dehors du sujet. Lui, g��n��, embarrass��, nous regardait d'un oeil qui demandait grace, essayait de reprendre la conversation interrompue. Puis devant la contradiction intime et persistante, la sottise de cette petite cervelle d'oisillon, gonfl��e et vide comme un ��chaud��, il se taisait, r��sign�� �� la laisser aller jusqu'au bout. Mais ce mutisme exasp��rait madame, lui paraissait plus injurieux, plus d��daigneux que tout. Sa voix aigre--douce devenait criarde, montait, piquait, bourdonnait avec un harcellement de mouche, jusqu'�� ce que le mari, furieux, ��clatat �� son tour, brutal et terrible.
De ces querelles incessantes, qui se terminaient par des larmes, elle sortait repos��e, plus fra?che, comme une pelouse apr��s l'arrosage; lui, chaque fois bris��, fi��vreux, incapable de tout travail. Peu �� peu sa violence m��me se lassa. Un soir que j'avais assist�� �� une de ces sc��nes p��nibles, comme Mme Heurtebise sortait de table, triomphante, je vis sur la figure de son mari, rest��e baiss��e pendant la querelle et qu'il relevait enfin, l'expression d'un m��pris, d'une col��re que les paroles ne pouvaient plus traduire. Rouge, les yeux pleins de larmes, la bouche tordue d'un sourire ironique et navrant, pendant que la petite femme s'en allait en refermant la porte d'un coup sec, il lui fit, comme un gamin dans le dos de son ma?tre, une grimace atroce de rage et de douleur. Au bout d'un moment, je l'entendis murmurer d'une voix ��trangl��e par l'��motion: ?Ah! si ce n'��tait pas l'enfant, comme je filerais!?
Car ils avaient un enfant, un pauvre petit superbe et malpropre, qui se tra?nait dans tous les coins, jouait avec les chiens plus grands que lui, la terre, les araign��es du jardin. La m��re ne le regardait que pour constater qu'il ��tait ?d��go?tant? et regretter de ne l'avoir pas mis en nourrice. Elle avait en effet gard�� ses traditions de petite bourgeoise de comptoir, et leur int��rieur en d��sordre, o�� elle promenait d��s le matin des robes par��es et des coiffures ��tonnantes, rappelait les arri��re-boutiques si ch��res �� son coeur, les pi��ces noires de crasse et de manque d'air o�� l'on passe vite dans les entr'actes de la vie de commerce pour manger �� la hate un repas mal fait, sur une table sans nappe, l'oreille au guet tout le temps vers la sonnette de la porte. Dans ce monde-l�� il n'y a que la rue qui compte, la rue o�� passent les acheteurs, les flaneurs, et ce d��bordement de peuple en vacances qui, le dimanche, remplit le trottoir et la chauss��e. Aussi, comme elle s'ennuyait, la malheureuse, �� la campagne; comme elle regrettait son Paris! Heurtebise, au contraire, avait besoin des champs pour la sant�� de son esprit. Paris l'��tourdissait comme un provincial en visite. La femme ne comprenait pas cela et se plaignait beaucoup de son exil. Pour se distraire, elle invitait d'anciennes amies. Alors,
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