recule d'un tableau pour mieux le voir, je dis que le mariage ne peut ��tre qu'une exception. �� cet ��tre nerveux, exigeant, impressionnable, �� cet homme-enfant qu'on appelle un artiste, il faut un type de femme sp��cial, presque introuvable, et le plus s?r est encore de ne pas le chercher... Ah! comme il avait bien compris cela, ce grand Delacroix que tu admires tant! Quelle belle existence que la sienne, born��e au mur de l'atelier, exclusivement vou��e �� l'art! Je regardais l'autre jour sa maisonnette de Champrosay et ce petit jardin de cur��, rempli de roses, o�� il s'est promen�� tout seul pendant vingt ans! Cela a le calme et l'��troitesse du c��libat... Eh bien, figure-toi Delacroix mari��, p��re de famille, avec toutes les pr��occupations des enfants �� ��lever, de l'argent, des maladies; crois-tu que son oeuvre serait la m��me?
Le Po?te.
Tu me cites Delacroix, je te r��pondrai Victor Hugo... Crois-tu que le mariage l'a g��n��, celui-l��, pour ��crire tant de livres admirables?...
Le Peintre.
Je pense, en effet, que le mariage ne l'a g��n�� pour rien du tout... Mais tous les maris n'ont pas le g��nie pour se faire pardonner, ni un grand soleil de gloire pour s��cher les larmes qu'ils font r��pandre... Avec cela que ce doit ��tre amusant d'��tre la femme d'un homme de g��nie. Il y a des femmes de cantonniers qui sont bien plus heureuses.
Le Po?te.
Singuli��re chose tout de m��me que ce plaidoyer contre le mariage fait par un homme mari�� et heureux de l'��tre.
Le Peintre.
Je te r��p��te que je ne parle pas d'apr��s moi. Mon opinion est faite de toutes les tristesses que j'ai vues ailleurs, de tous ces malentendus si fr��quents dans les m��nages d'artistes et caus��s justement par notre vie anormale. Regarde ce sculpteur qui, en pleine maturit�� d'age et de talent, vient de s'expatrier, de planter l�� sa femme, ses enfants. L'opinion l'a condamn��, et certes je ne l'excuserai pas. Et pourtant comme je m'explique qu'il en soit arriv�� l��! Voil�� un gar?on qui adorait son art, avait le monde et les relations en horreur. La femme, bonne pourtant et intelligente, au lieu de le soustraire aux milieux qui lui d��plaisaient, l'a condamn�� pendant dix ans �� toutes sortes d'obligations mondaines. C'est ainsi qu'elle lui faisait faire un tas de bustes officiels, d'affreux bonshommes �� calottes de velours, des femmes fagot��es et sans grace, qu'elle le d��rangeait dix fois par jour pour des visites importunes, puis tous les soirs lui pr��parait un habit, des gants clairs, et le tra?nait de salon en salon... Tu me diras qu'il aurait pu se r��volter, r��pondre carr��ment: ?Non!? Mais ne sais-tu pas que le fait m��me de nos existences s��dentaires nous rend plus que les autres hommes d��pendants du foyer? L'air de la maison nous enveloppe, et, s'il ne s'y m��le un grain d'id��al, nous alourdit et nous fatigue vite. D'ailleurs l'artiste met en g��n��ral tout ce qu'il a de force et d'��nergie dans son oeuvre, et, apr��s ses luttes solitaires et patientes, se trouve sans volont�� contre les minuties de la vie. Avec lui les tyrannies f��minines ont beau jeu. Nul n'est plus facilement dompt��, conquis. Seulement, gare! Il ne faut pas qu'il sente trop le joug. Si un jour ces bandelettes invisibles dont on l'enveloppe sournoisement serrent un peu trop fort, arrivent �� emp��cher l'effort artistique, d'un seul coup il les arrache toutes et, m��fiant de sa propre faiblesse, se sauve comme notre sculpteur par del�� les monts...
La femme de celui-l�� est rest��e saisie de ce d��part. La malheureuse en est encore �� se demander: ?Qu'est-ce que je lui ai fait?? Rien. Elle ne l'avait pas compris... Car il ne suffit pas d'��tre bonne et intelligente pour ��tre la vraie compagne d'un artiste. Il faut encore avoir un tact infini, une abn��gation souriante, et c'est cela qu'il est miraculeux de trouver chez une femme jeune, ignorante et curieuse de la vie... On est jolie, on a ��pous�� un homme connu, re?u partout. Dame! on aime aussi �� se montrer un peu �� son bras. N'est-ce pas tout naturel? Le mari, au contraire, devenu plus sauvage depuis qu'il travaille mieux, trouvant l'heure courte, le m��tier difficile, se refuse aux exhibitions. Les voil�� malheureux tous deux, et que l'homme c��de ou qu'il r��siste, sa vie est d��sormais d��rang��e de son courant, de sa tranquillit��... Ah! que j'en ai connu de ces int��rieurs disparates o�� la femme ��tait tant?t bourreau, tant?t victime, plus souvent bourreau que victime, et presque toujours sans s'en douter! Tiens, l'autre soir j'��tais chez le musicien Dargenty. Il y avait quelques personnes. On le prie de se mettre au piano. �� peine a-t-il commenc�� une de ces jolies mazurkas �� brandebourgs qui en font l'h��ritier de Chopin, sa femme se met �� causer, tout bas d'abord, puis un peu plus haut. De proche en proche,
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