de rien et s'aventurait
en tout. La jeune femme, déjà ennuyée, éprouva un vif plaisir à ce
jabotage à la diable.
Le percepteur avait vu tout de suite qu'on pouvait se risquer à «la
blague» avec cette gentille diablesse. Il fut éblouissant contre tout
attente, non pas qu'il ne répandît beaucoup de similor dans la causerie,
mais, loin de Paris, c'était encore de la vraie monnaie.
Quand il s'en alla, Angèle sentit le froid tomber autour d'elle.
Mais, par bonheur, le sous-lieutenant parut à son tour et commença le
siège de cette jeune vertu. Angèle lui fit comprendre qu'il ne la
prendrait pas d'assaut. Mais elle lui avoua qu'elle aimait à voir les
travaux du siège.
Revint Léonce, plus passionné que jamais. Tout un jour sans voir sa
femme! Il la trouva plus distraite que la veille.
--Angèle, tu ne m'aimes pas?
Il se jeta à ses pieds et lui montra deux larmes.
Mais ce n'étaient que deux larmes de mari.
C'est là pour elle le malheur de ceux qui ne sont pas aimés de s'acharner
à leur proie et de vouloir vaincre la nature rebelle. Léonce s'acharna à
cette oeuvre maudite, parce qu'il souffrait horriblement.
--Je veux la vie ou la mort! disait-il, se traînant toujours aux pieds
d'Angèle, dans la pâleur d'un condamné qui attend son recours en
grâce.
Obsédée de tant de caresses qui ne portaient pas, de tant de paroles qui
ne parlaient pas au coeur, Angèle dit à Léonce:
--Eh bien! non, je ne t'aime pas!
IV
Ce fut comme un coup de couteau. Il sembla à Léonce qu'une lame
froide lui perçait le coeur.
Il foudroya sa femme d'un regard et courut éperdument à travers le parc,
déchiré par toutes les bêtes féroces du désespoir.
Il maudissait cette femme adorée, mais en même temps il s'avouait qu'il
ne pourrait pas vivre sans elle.
L'amour est lâche. Léonce retourna dans le petit salon, où Angèle
feuilletait un roman, calme et souriante comme toujours.
--Angèle, je t'aime! Dis-moi, tu n'as pas voulu me tuer par tes odieuses
paroles?
--Mon cher, vous êtes fou! Ne faudrait-il pas toujours chanter la même
chanson? Pour Dieu! laissez-moi respirer.
Il lui arracha le livre des mains.
--Le roman n'est pas là, lui dit-il.
Mais elle se leva furieuse et ressaisit les pages à moitié déchirées.
Il n'y avait plus rien à dire. Léonce alla pleurer tout seul dans son
cabinet de travail, se demandant si c'en était fait de son rêve et de
lui-même.
Il ne revit sa femme qu'au dîner, où il hasarda ces mots:
--Si vous vous ennuyez ici, Angèle....
--Pas du tout. Si vous vous ennuyez vous-même, vous pouvez
retournera Paris pour vos affaires....
--Mes affaires! je n'en ai qu'une, celle de vivre pour vous et avec vous.
--Eh! mon Dieu, nous ne faisons pas autre chose depuis trois mois. Je
sens que les feuilles me poussent aux mains et les racines aux pieds.
On ne dit pas un mot de plus.
Dans les grandes phases de la vie, il faut toujours un confident. Léonce
n'avait là qui que ce fût à qui ouvrir son coeur! Le lendemain, il repartit
pour Paris, ne sachant d'ailleurs pas bien pour quoi faire, mais fuyant la
solitude, cette implacable ennemie de ceux qui souffrent par le coeur. A
Paris, il trouva un ami.
--Pourquoi cette pâleur, Léonce?
--Ah! si tu savais comme je suis malheureux. Et le jeune marié conta,
une à une, toutes ses tortures.
Il ne montra sa blessure ni à sa soeur ni à sa mère.
--Tu es toujours bien heureux, Léonce.
--Oh! oui, bien heureux, ma mère.
V
Il revint le soir.
Il était onze heures; il passa par la petite porte du parc, pour ne pas
réveiller les gens; il fut très surpris de voir de la lumière à la fenêtre du
petit salon.
Angèle, qui était une dormeuse, n'était donc pas encore couchée?
Il ne fallut à Léonce que quelques secondes pour être devant la fenêtre.
Que vit-il? La dernière page de son-bonheur!
Angèle enveloppait dans sa chevelure dénouée la figure du jeune
sous-lieutenant.
Léonce jugea qu'il n'avait qu'une chose à faire: c'était de laisser cet
homme et cette femme à leur folie. Il prit le train de minuit, jurant de
ne plus jamais revoir ce pays, deux fois cher jusque-là:
VI
Ce fut Angèle qui courut à Paris le lendemain.
Comme son jeu était joué avec le sous-lieutenant, elle apparut toute
charmante à la porte du petit appartement de Léonce.
Elle fut effrayée de sa pâleur et de sa désolation.
Aussi prit-elle sa voix féline:
--Eh bien! je m'ennuyais, me voilà.
Qui le croira? Vous le croirez. Le mari laissa tomber aux pieds de la
femme toutes ses jalousies et toutes ses douleurs.
--Je sais tout, lui dit-il; vous êtes infâme, je devrais vous tuer, mais
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.