Les douze nouvelles nouvelles | Page 6

Arsène Houssaye
pas pour dîner. Il lui écrivit un mot qui la glaça.
Comme il aspirait à un secrétariat d'ambassade, il lui parlait du
ministre.
--Encore un mensonge! dit-elle en jetant la lettre au feu. Le ministre,
c'est sa maîtresse; eh bien! je serai son ministre, moi!
La Faramineuse demeurait rue Royale, dans un petit appartement qui
était une première station vers les splendeurs de la vie de courtisane.
Jusque-là elle avait eu plus de dettes que de rentes sur l'État. Son
capital se composait de cinquante mille francs de diamants, d'un
mobilier de toutes les paroisses et d'un tempérament de soupeuse. Pas
une obole de plus!
Janina fut presque surprise de trouver cet intérieur quelque peu
mélancolique.
--Comment, murmura-t-elle en entrant, il se plaît mieux sur ce fumier
que dans mon nid de dentelles!
Elle jeta ses yeux partout, avec la curiosité d'une grande dame chez une
courtisane. Elle commença par déchirer une photographie de son mari,
à la glace de la cheminée. Presque aussitôt, en feuilletant un roman de
cuisinière, elle trouva comme signet une autre photographie. On
pourrait croire que c'était celle de M. Alphonse, placée à la bonne page.
Pas du tout. C'était le portrait d'un prince Rio, qui aime toutes les
compagnies--même les mauvaises.
La Faramineuse se servait de cette photographie en guise de
coupe-papier.

Janina reconnut le prince. Elle le rencontrait dans le monde. Elle
constata une fois de plus qu'il ressemblait à son mari.
Cependant, l'heure allait sonner. La jeune femme, de plus en plus pâle,
entendait battre son coeur. Il lui semblait qu'elle allait mourir. Elle
tomba agenouillée et demanda pardon à Dieu.
Quand elle se releva, le hasard la mit en présence d'une bouteille de
fine champagne. Pour se donner du courage, elle fit comme ces
comédiennes qui ont peur à leur entrée en scène: elle but à pleine volée.
Je ne sais si le courage lui vint plus tard, mais la fine champagne ne
l'empêcha pas de s'écrier:
--Quoi! c'est moi, moi Janina de R., qui vais me mettre dans ce lit!
Elle avait reconnu, d'ailleurs, que la Faramineuse lui avait donné luxe
du beau linge. Caroline Bertin, en la quittant, avait acheté au Louvre
une magnifique paire de draps brodés au plumetis avec une couronne
de princesse.
Ce n'était pas une vaine dépense: cela lui servirait pour les grands jours.
Mais au moins la princesse en aurait la virginité!
A peine déshabillée, Janina s'écria: «Jamais!» Un peu plus, elle
remettait sa robe.
Mais elle entendit du bruit. Il fallait franchir le Rubicon.
Elle éteignit les deux bougies du candélabre, elle les jeta dans la
cheminée et se nicha dans le lit, où elle fit semblant de dormir.
La Faramineuse lui avait dit que son amant la surprenait toujours
endormie.
La porte s'ouvrit.
--Lui! murmura Janina. O mon Dieu, faites-nous mourir tous les deux.

A ce moment, la femme de chambre répétait encore au nouveau venu sa
leçon--bien apprise.
IV
Ici, les documents font absolument défaut à l'historien. Ce qu'il sait
bien, c'est ceci:
Le lendemain, bien avant l'aurore. Janina s'envola comme un oiseau qui
ne bat que d'une aile; ou plutôt, pour parler en prose, elle s'habilla en
toute hâte vers quatre heures du matin, l'heure où elle savait que son
mari s'échappait des bras de la Faramineuse. Sa longue pelisse cachait
sa tête comme son corps, mais elle ne se trouvait pas encore assez
cachée pour sortir de chez une fille et pour rentrer chez une honnête
femme!
Rentra-t-elle chez une honnête femme?
Fut-elle vraiment bien surprise quand sa fille de chambre lui dit, tout
ébahie de la voir rentrer si tard sans être en toilette de bal:
--Madame sait-elle que Monsieur est revenu de très bonne heure avec
une fièvre de cheval?
Fut-ce pour Janina le Mané, Thécel, Pharès venant la surprendre dans
l'enivrement de son triomphe,--ou de sa défaite? Savait-elle, à ce
moment, que le beau prince entrevu en photographie dans le vulgaire
roman que lisait la Faramineuse avait pris--nouveau Jupiter--les plumes
et le nid d'Amphitryon?
Je ne sais par quelle indiscrétion l'histoire courut vaguement, sans
toutefois qu'on arrachât les masques. Ce qui est certain, c'est qu'une
amie de la Faramineuse lui dit un jour: «On prétend que tu as touché
dix mille francs pour rapatrier une femme avec son mari.
--Ma chère amie, j'ai touché quinze mille francs: dix mille francs de la
dame, et cinq mille francs du prince.

--C'était donc un prince?» La Faramineuse se mordit les lèvres.
Ste Thérèse a dit: «Nous avons dans le coeur la source des larmes qui
lavent nos péchés.» Janina qui avait tant pleuré, pleura encore.
Son mari ne retourna pas chez la Faramineuse.--Ni elle non plus.

LE
HUITIÈME PÉCHÉ CAPITAL
[Illustration: 037.png]
III
LE HUITIÈME PÉCHÉ CAPITAL
I
C'était la plus invraisemblable des extravagantes héraldiques.
Il l'aimait jusqu'au ciel: Il
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