Les derniers Iroquois | Page 8

Émile Chevalier
quelques années probablement, quand les docks
projetés par M. Young seront exécutés, le port de Montréal s'étendra de
la rue Bonsecours, à l'entrée du faubourg Québec, jusqu'à la pointe
Saint-Charles, tête du pont Victoria.
[Note 16: Pour l'étymologie de ce nom, voir la Huronne.]
Alors, les quartiers sous-jacents se dépeupleront au profit des quartiers
nouveaux qui s'installeront en amont. Cela s'explique facilement: quand
une colonie se fixe près d'un cours d'eau, elle défriche les terres en
s'acheminant vers la source. S'il survient d'autres membres à la colonie,
ils ne planteront pas leurs tentes au-dessous des précédents parce que
les pouvoirs d'eau ont été utilisés d'une façon ou d'une autre par le
drainage des campagnes ou le jeu des machines, mais ils s'établissent
au-dessus où rien ne les gêne et ne les embarrasse.
Les terres inférieures étant ainsi les premières mises en culture

acquièrent un prix que n'ont pas les terres supérieures, laissées vierges
et improductives. Il résulte de là que les manufacturiers, fabricants et
entrepreneurs s'échelonnent graduellement devant une ville, en
refoulant son cours d'eau, sûrs qu'ils sont d'acheter meilleur marché les
emplacements nécessaires à l'établissement de leurs usines ou entrepôts
et d'obtenir des forces motrices plus considérables.
Mais ces entrepreneurs, fabricants et manufacturiers sont les
avant-coureurs du commerce. Celui-ci ne peut pas plus vivre sans eux,
qu'ils ne peuvent vivre sans lui. Autour des usines se groupent
promptement les magasins; car, pour éviter les frais de transport, le
consommateur se rapproche constamment du producteur. Bientôt les
terrains enserrés par la manufacture montent: ils doublent, ils triplent
de valeur. Non-seulement le propriétaire ou directeur comprend qu'il
aurait avantage à vendre son emplacement et à transférer plus haut ses
ateliers, mais il s'aperçoit de l'impossibilité pour lui d'augmenter ses
moyens de production par un agrandissement de local, à cause de la
cherté excessive des lots avoisinants.
Il déloge; les chantiers l'accompagnent. La navigation, forcée de
déposer ou prendre son fret près de ces chantiers, la navigation bon gré
mal gré suit leurs mouvements. Le cours d'eau est-il trop peu profond,
on le creuse; est-il semé de rochers, on le drague; est-il hérissé de récifs,
de cataractes, on perce un canal, comme celui de Lachine au pied des
rapides du Sault Saint-Louis ou Caughnawagha.
Et toujours, toujours la ville va refluant vers la source. Se serait-il pas
possible de découvrir dans ce phénomène la preuve de notre marche
ascensionnelle aussi bien que la preuve de notre penchant à remonter
des effets aux causes?
Quant à la cité, elle subit autant de métamorphoses que de progressions.
La manufacture est supplantée par le magasin, qui sera supplante à son
tour par la maison bourgeoise, et peut-être en dernier lieu par la ferme.
Montréal nous en présente un exemple frappant. Il y a un siècle, les
comptoirs du commerce ne dépassaient pas la rue des Commissaires.
La rue des Communes, qui s'annexe à elle, n'existait même pas. Mais là
où prend pied le quartier Sainte-Anne, des moulins, des scieries, des

fonderies, des forges fonctionnaient du matin au soir. Maintenant
forges, fonderies, moulins immigrent, et des stores, des warehouses
leur succèdent partout. Le négoce s'enfuit à tire d'ailes du marché
Bonsecours vers les rues Saint-Paul, Notre-Dame, Saint-Jacques, et se
précipite dans la rue Mac-Gill.
Avant vingt ans, il aura, nous en avons la conviction, déserté ses vieux
foyers et inondé le quartier Sainte-Anne. Ses révolutions passées sont
un critérium pour préciser ses révolutions à venir. L'abaissement lent
mais continu du prix des loyers dans le faubourg Québec et leur
élévation inusitée du côté du faubourg Saint-Antoine suffisent déjà à
démontrer d'une façon concluante la justesse de cette assertion.
L'achèvement du pont Victoria et l'établissement à la pointe
Saint-Charles d'une gare centrale pour la compagnie du chemin de fer
du Grand-Tronc, n'ont fait que bâter le transfert du centre commercial
au quartier Sainte-Anne ou Griffinton, ce bourbier infect, cette
léproserie où grouille une population irlandaise, sordide, déguenillée,
fanatique, prête à tous les crimes, la honte et l'effroi de la métropole
canadienne, comme les Cinq-Points de New-York, la Cité de Londres
ou de Paris, le Ghetto de Rome, furent longtemps la honte et l'effroi des
nobles capitales qui recelaient ces clapiers dans leur sein.
Le Griffinton, une fois assaini, purgé des bandes de misérables qui
rendent son séjour dangereux autant que dégoûtant, Montréal, avec ses
maisons bien bâties, ses grand édifices publics, civils ou religieux, ses
rues régulières parfaitement aérées, ses nombreux instituts, son riche
musée de géologie, son jardin botanique, son magnifique port, ses
prodigieuses ressources maritimes, industrielles et agricoles, et les
splendides campagnes qui se déploient à ses portes, Montréal prendra
définitivement rang parmi les villes les plus favorisées et les plus
agréables des deux hémisphères.

CHAPITRE III
LES DERNIER IROQUOIS

Quoique Montréal ne possédât pas, en 1837, la moitié de la population
et des embellissements dont elle
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 75
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.