érigeant des
fermes et des maisons d'éducation.
[Note 10: Voir la Huronne.]
Mais c'est en 1640 seulement que la richesse du site de Hochelaga attire
l'attention. Ce site est une île longue de neuf lieues sur deux et demie
de large environ. Une compagnie de négociants français se la fait
concéder et y envoie un de ses membres, Paul de Chomedy, sieur de
Maisonneuve, gentilhomme champenois, avec ordre d'y implanter une
colonie.
«Il partit pour le Canada le coeur plein de joie. En arrivant, le
gouverneur voulut en vain le fixer dans l'Ile d'Orléans[11], pour ne pas
être exposé aux attaques des Iroquois; il ne voulut pas se laisser
intimider par les dangers et alla, en 1617, jeter les fondements de la
ville de Montréal. Il éleva une bourgade palissadée à l'abri des attaques
des Indiens, qu'il nomma Ville-Marie, et se mit à réunir des sauvages
chrétiens ou qui voulaient le devenir, autour de lui, pour les civiliser et
leur enseigner l'art de cultiver la terre. Ainsi Montréal devint à la fois
une école de civilisation, de morale et d'industrie, destination noble qui
fut inaugurée avec toute la pompe de l'Église.»
[Note 11: Située à une demi-lieue au-dessous de Québec.]
La colonie de Ville-Marie[12] s'accrut lentement d'abord; ses premiers
pas furent incertains, arrêtés par mille obstacles. En 1664, elle ne
comptait que 884 familles. Néanmoins on pouvait prévoir la rapidité de
son extension future, car déjà son enceinte dépassait celle de Québec,
ville qui, quoique fondée trente-quatre ans plus tôt, n'avait à la même
époque que 888 habitants.
[Note 12: Le clergé catholique s'entête à n'appeler Montréal que par ce
nom.]
De ce moment jusqu'à nos jours, la population de Montréal suivit
incessamment une marche ascendante.
Aujourd'hui le chiffre de cette population peut être porté à 100,000
âmes, taudis que Québec, que beaucoup de nos géographes s'obstinent à
citer uniquement comme la seule ville importante du Canada, n'en a
guère plus de 50,000.
Nous ne saurions mieux comparer l'île de Montréal qu'à un bicorne
dont la ville figurerait l'aigrette. Au nord, elle est arrosée par la rivière
des Prairies, branche de l'Outaouais (ou Ottawa), et au sud par le
Saint-Laurent qui, devant la ville, a plus de deux milles de large.
Adossé à la montagne d'où elle tire son nom. Montréal (Mont-Royal)
offre à la vue une sorte de parallélogramme avec ses trois cents rues
coupées à angle droit.
La principale voie passagère, la rue Notre-Dame, s'étend du nord à l'est
sur un espace de plus d'un mille. Elle est le centre du commerce de
détail, le rendez-vous du monde élégant. Des magasins fort coquets, et
quelques-uns fort riches aussi, la bordent des deux côtés. Elle est
partagée parla place d'Armes sur laquelle on a construit, il y a une
trentaine d'années, la cathédrale Notre-Dame, basilique dans le genre
néo-gothique, mais prétentieuse, mince, étriquée, une sorte de
monument en carton-pierre, bien qu'on le considère comme le temple le
plus vaste de l'Amérique septentrionale. Au-delà on remarque aussi le
nouveau Palais de Justice, dont la façade a une grande mine, niais dont
la distribution intérieure laisse beaucoup à désirer: son portique
appartient au style grec. Il se dresse en face de la place Jacques Cartier,
sur laquelle, par un contre-sens risible, ou plutôt par une dérision amère,
les Anglais ont élevé une colonne et une statue à l'amiral Nelson!
Parallèlement à la rue Notre-Dame, s'élance la rue Saint-Paul, plus
étroite, moins élégante, mais non moins animée. La partie
septentrionale est envahie par les petits négociants en nouveautés,
mercerie et quincaillerie; la partie méridionale par les gros importateurs,
dont les immenses magasins descendent jusqu'à la rue des Communes,
laquelle longe les quais.
Bâtis en belle pierre de taille à douze ou quinze pieds du niveau du
Saint-Laurent, ces quais se déploient devant la ville comme un
inébranlable rempart. Pendant la bonne saison, les oisifs et les curieux
s'y rassemblent. Peu de promenades présentent, à notre avis, autant
d'agréments que celle-là.
En se dirigeant vers le sud, le regard franchit des paysages aussi
séduisants que variés, après avoir passé par-dessus le magnifique pont
tubulaire Victoria, le plus beau au monde, construit dernièrement par le
célèbre ingénieur anglais Stevenson.
Qu'il s'arrête sur les nombreux navires de toutes les nations, voiliers ou
vapeurs, goélettes ou trois-mâts, canots d'écorce ou vaisseaux de guerre,
mouillés dans les bassins, qu'il ondule avec les eaux diaphanes du roi
des fleuves, qu'il vague mollement à travers les quinconces de l'île
Sainte-Hélène qui, telle qu'une corbeille de verdure, émerge de l'onde
vis à vis de la ville, ou qu'avide et amoureux des champs, il saute à
l'autre rive du Saint-Laurent, l'oeil trouve cent sujets de plaisir,
d'instruction, de rêverie, de délices.
C'est un spectacle enchanteur pour l'artiste nonchalant, insoucieux, et
pour le spéculateur alerte, farci de chiffres.
Entendez le sifflement des steamers! suivez
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