Les derniers Iroquois | Page 6

Émile Chevalier
les fondements de la ville de Montréal. Il éleva une bourgade palissadée à l'abri des attaques des Indiens, qu'il nomma Ville-Marie, et se mit à réunir des sauvages chrétiens ou qui voulaient le devenir, autour de lui, pour les civiliser et leur enseigner l'art de cultiver la terre. Ainsi Montréal devint à la fois une école de civilisation, de morale et d'industrie, destination noble qui fut inaugurée avec toute la pompe de l'église.?
[Note 11: Située à une demi-lieue au-dessous de Québec.]
La colonie de Ville-Marie[12] s'accrut lentement d'abord; ses premiers pas furent incertains, arrêtés par mille obstacles. En 1664, elle ne comptait que 884 familles. Néanmoins on pouvait prévoir la rapidité de son extension future, car déjà son enceinte dépassait celle de Québec, ville qui, quoique fondée trente-quatre ans plus t?t, n'avait à la même époque que 888 habitants.
[Note 12: Le clergé catholique s'entête à n'appeler Montréal que par ce nom.]
De ce moment jusqu'à nos jours, la population de Montréal suivit incessamment une marche ascendante.
Aujourd'hui le chiffre de cette population peut être porté à 100,000 ames, taudis que Québec, que beaucoup de nos géographes s'obstinent à citer uniquement comme la seule ville importante du Canada, n'en a guère plus de 50,000.
Nous ne saurions mieux comparer l'?le de Montréal qu'à un bicorne dont la ville figurerait l'aigrette. Au nord, elle est arrosée par la rivière des Prairies, branche de l'Outaouais (ou Ottawa), et au sud par le Saint-Laurent qui, devant la ville, a plus de deux milles de large.
Adossé à la montagne d'où elle tire son nom. Montréal (Mont-Royal) offre à la vue une sorte de parallélogramme avec ses trois cents rues coupées à angle droit.
La principale voie passagère, la rue Notre-Dame, s'étend du nord à l'est sur un espace de plus d'un mille. Elle est le centre du commerce de détail, le rendez-vous du monde élégant. Des magasins fort coquets, et quelques-uns fort riches aussi, la bordent des deux c?tés. Elle est partagée parla place d'Armes sur laquelle on a construit, il y a une trentaine d'années, la cathédrale Notre-Dame, basilique dans le genre néo-gothique, mais prétentieuse, mince, étriquée, une sorte de monument en carton-pierre, bien qu'on le considère comme le temple le plus vaste de l'Amérique septentrionale. Au-delà on remarque aussi le nouveau Palais de Justice, dont la fa?ade a une grande mine, niais dont la distribution intérieure laisse beaucoup à désirer: son portique appartient au style grec. Il se dresse en face de la place Jacques Cartier, sur laquelle, par un contre-sens risible, ou plut?t par une dérision amère, les Anglais ont élevé une colonne et une statue à l'amiral Nelson!
Parallèlement à la rue Notre-Dame, s'élance la rue Saint-Paul, plus étroite, moins élégante, mais non moins animée. La partie septentrionale est envahie par les petits négociants en nouveautés, mercerie et quincaillerie; la partie méridionale par les gros importateurs, dont les immenses magasins descendent jusqu'à la rue des Communes, laquelle longe les quais.
Batis en belle pierre de taille à douze ou quinze pieds du niveau du Saint-Laurent, ces quais se déploient devant la ville comme un inébranlable rempart. Pendant la bonne saison, les oisifs et les curieux s'y rassemblent. Peu de promenades présentent, à notre avis, autant d'agréments que celle-là.
En se dirigeant vers le sud, le regard franchit des paysages aussi séduisants que variés, après avoir passé par-dessus le magnifique pont tubulaire Victoria, le plus beau au monde, construit dernièrement par le célèbre ingénieur anglais Stevenson.
Qu'il s'arrête sur les nombreux navires de toutes les nations, voiliers ou vapeurs, goélettes ou trois-mats, canots d'écorce ou vaisseaux de guerre, mouillés dans les bassins, qu'il ondule avec les eaux diaphanes du roi des fleuves, qu'il vague mollement à travers les quinconces de l'?le Sainte-Hélène qui, telle qu'une corbeille de verdure, émerge de l'onde vis à vis de la ville, ou qu'avide et amoureux des champs, il saute à l'autre rive du Saint-Laurent, l'oeil trouve cent sujets de plaisir, d'instruction, de rêverie, de délices.
C'est un spectacle enchanteur pour l'artiste nonchalant, insoucieux, et pour le spéculateur alerte, farci de chiffres.
Entendez le sifflement des steamers! suivez ce double panache de fumée qui se balance au fa?te de leurs noires cheminées; voyez-vous dans cette atmosphère imprégnée d'odeurs résineuses et aquatiques, ou bien comptez ces boucauts de sucre, ces quarts[13] de farine, ces barriques de tabac, ces caisses, ces ballots de toutes sortes amoncelés sur les quais!
[Note 13: Les Canadiens-Fran?ais nomment ainsi les barils de farine, provisions, etc.]
Partout l'activité, partout le travail intelligent, partout l'abondance.
Des hommes, des chevaux, des cabs, des cabrouets se pressent, se froissent se heurtent. On dirait de l'entrep?t général du trafic du globe.
Mais laissons la rue des Commissaires où nous ramèneront vraisemblablement les incidents de notre récit. En examinant Montréal à vol d'oiseau, nous voyons la ville s'étager en amphithéatre dans les plis d'un terrain fortement tourmenté.
Les quartiers limitrophes du fleuve sont exclusivement consacrés
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