heureuse, ne tarda pas à être
troublée. Le pape Célestin, et après lui son successeur Innocent III, un
des plus énergiques pontifes du moyen âge, refusèrent de sanctionner le
divorce prononcé par les prélats français.
Vainement le roi de France essaya de lutter contre le pouvoir
formidable qui prétendait rendre toutes les couronnes vassales de la
tiare: le légat du Pape assembla un concile à Lyon, excommunia
Philippe, et mit le royaume en interdit.
L'amant d'Agnès ne se laissa pas abattre par cet anathème, arme terrible
alors; il fit casser par le parlement la décision du concile et saisir le
temporel des prélats qui l'avaient condamné.
A ce jeu il eût perdu sa couronne, si Agnès, voyant l'isolement se faire
autour du monarque impuissant à lutter contre les superstitions de son
temps, ne s'était décidée au plus douloureux des sacrifices. Elle craignit
de causer la perte de Philippe-Auguste et se retira dans un couvent où
elle mourut de chagrin la même année.
Elle avait eu de ce prince deux enfants qu'Innocent III n'hésita pas à
reconnaître pour légitimes.
Nous voici arrivés à une des époques les plus tristes de notre histoire.
Un fou est assis sur le trône de France; à ses côtés s'agite une
incroyable mêlée de trahisons, de débauches et d'infamies. Les princes
du sang, les frères du roi, se disputent les lambeaux du pouvoir, tandis
qu'Isabeau de Bavière, épouse adultère, mère dénaturée, le vend à
l'étranger[2].
Dans ce palais de l'hôtel des Tournelles, où la luxure trébuche à chaque
pas dans le sang, une intéressante et douce physionomie se détache du
moins sur le fond sombre du tableau, la maîtresse ou plutôt la
garde-malade de l'insensé Charles VI. Elle seule a le pouvoir de calmer
ses accès furieux; il obéit à sa voix et le peuple attendri décerne à cet
ange consolateur le surnom de petite reine.
L'histoire nous apprend peu de choses d'Odette de Champdivers. C'était,
dit-on, la fille d'un marchand de chevaux; le roi la vit et la trouva belle;
ce fut Isabeau elle-même qui, pour se débarrasser du malheureux
insensé, la jeta dans le lit de son mari.
A dater de ce moment, toujours aux côtés du roi de France, on retrouve
Odette de Champdivers, sa seule joie dans ses intervalles lucides,
comme les cartes à jouer ou tarots étaient sa seule distraction.
[Note 2: Voir, pour les détails de moeurs de cette époque déplorable de
l'histoire de France, le Charnier des Innocents, de M. Julien Lemer.]
C'était, en effet, pour ce vieil enfant que l'on venait d'inventer les cartes
dont l'imagier Jacquemin Gringonneur peignait si merveilleusement les
bizarres figures.
Tandis que chacun cherchait à s'attacher à une fortune nouvelle et
prenait parti pour le Bourguignon ou pour l'Anglais, la petite reine
restait fidèle au malheur. Tandis que nobles et grands seigneurs
abandonnaient le monarque infortuné, Odette de Champdivers,
symbole du pauvre peuple attaché à son maître, semble annoncer déjà
l'apparition prochaine de ces deux vierges, l'une sainte et l'autre folle,
qui devaient sauver la France agonisante, Jeanne Darc et Agnès Sorel.
II
AGNES SOREL.
LA COUR DE CHARLES VII.
Souverain dépossédé, roi sans couronne, Charles VII s'en allait perdant
une à une les plus riches provinces de ce beau pays de France, devenu
la proie des Anglais. La Normandie était conquise; Paris obéissait à des
maîtres venus d'outremer; Orléans et toutes les villes environnantes ne
voyaient plus briller la fleur-de-lis d'or de la royauté française.
A l'insensé Charles VI il eût fallu un successeur actif et énergique,
Charles VII était indolent et faible: loin de profiter de l'ardeur guerrière
de ses chevaliers fidèles, il ne songeait qu'à la contenir, et, sans souci
de son devoir de roi, il ne s'occupait que de plaisirs et de fêtes, à l'heure
où pièce à pièce s'écroulait l'édifice si péniblement construit de la
nationalité.
L'Anglais, déjà, se croyait vainqueur, et le roi d'Angleterre prenait le
titre de roi d'Angleterre et de France.
Quelques jours encore, et c'en était fait du royaume de Charles VII, la
France était à deux doigts de sa perte, un miracle seul pouvait la
sauver....
Le miracle eut lieu!
Une jeune paysanne, bien ignorante, bien inconnue, apparaît tout à
coup à la cour du roi fugitif. C'est Jeanne Darc, l'humble bergère de
Domrémy.
A travers mille périls, elle est venue trouver Charles VII, parce qu'elle
en a reçu l'ordre d'en haut; des voix ont parlé à son oreille; elle a obéi.
A cette heure où le découragement s'est emparé de tous, elle annonce
qu'elle a mission de Dieu pour chasser l'Anglais, pour faire sacrer le
«gentil Dauphin,» pour sauver la France.
L'incrédulité et la raillerie l'accueillent. En ce temps de superstitions et
de ridicules croyances nul ne veut ajouter foi à ses paroles.
--Que peut cette vilaine pour votre cause? disent au roi les

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