Les cotillons célèbres | Page 5

Emile Gaboriau
d'armes d'Ambleville et Guienne; le frère Jean Pasquerel, lecteur du couvent des Augustins de Tours, est son aum?nier.
La France, comme l'agonisant qui recueille avidement la moindre parole de salut, a entendu la voix de la vierge inspirée, la France tressaille et rena?t à l'espérance.
Jeanne Darc dit:
--Levez vous, et marchons!
Chacun se lève et la suit.
--Allons sauver Orléans!
Et Orléans est sauvé.
De ce jour, les choses changent de face; l'ennemi tremble à son tour. Jeanne Darc lui renvoie la terreur que, la veille encore, il inspirait à tous. L'Anglais n'attaque plus, il se défend. Il se renferme dans ses places fortes dont les murailles ne lui semblent même plus un abri suffisant. L'heure de la délivrance a sonné et, chaque jour, depuis l'arrivée de l'héro?que jeune fille, est marqué par de nouvelles conquêtes.
Jeanne Darc tient cependant toutes ses promesses, et bient?t, à la tête de douze mille hommes, elle traverse un pays presqu'entièrement occupé par l'ennemi, et arrive jusqu'à Reims où Charles VII doit être sacré.
A l'église, elle se tient près du roi, son étendard à la main.
--Il était à la peine, dit-il, il est juste qu'il soit à l'honneur.
Mais là s'arrête la mission de la vierge inspirée, les cérémonies du sacre terminées, Jeanne Darc conjure le roi de lui permettre de se retirer. Se mettant à genoux devant lui, ?_l'accolant par les genoux_,? elle se met à fondre en larmes et toute l'assemblée avec elle:
--Gentil roi, dit-elle, ores est exécuté le plaisir de Dieu qui voulait que vous vinssiez à Reims recevoir votre digne sacre, pour montrer que vous êtes vrai roi et celui auquel le royaume doit appartenir, voilà mon devoir accompli, souffrez donc que je retourne vers mes parents qui sont en grand mal de moi.
Mais elle exer?ait un trop grand prestige sur le peuple et sur l'armée pour qu'on la laissat partir. Obligée de rester, elle en éprouve un ?grand regret;? sa confiance en elle même l'abandonne.
--Je n'entends plus mes voix, disait-elle, et c'est l'indice de ma fin prochaine.
Ce triste pressentiment allait, hélas! se réaliser bient?t.
Le duc de Bourgogne assiégeait alors Compiègne, qui venait de se rendre aux armes de Charles VII.
Toujours la première au danger, Jeanne Darc accourt à la défense de la ville menacée. Dès le jour de son arrivée, elle tente contre les Bourguignons une vigoureuse sortie. Les Fran?ais, inférieurs en nombre, sont repoussés. Jeanne, toujours la dernière à la retraite, reste seule exposée à tous les coups; elle tient tête aux masses afin de laisser aux siens le temps de se retirer. Enfin, elle songe à rentrer dans la ville; il est trop tard. Imprudence, fatalité ou trahison, la poterne qui doit assurer son salut est fermée, et, après d'héro?ques efforts, elle est obligée de se rendre.
Un chevalier bourguignon, le batard de Vend?me, re?oit son épée.
A la nouvelle fatale, une morne tristesse enveloppe la France comme un crêpe de deuil. Les Anglais, au contraire, font éclater les transports de la joie la plus vive; dans toutes leurs églises ils font chanter des _Te Deum_; c'est que la Pucelle leur semble plus redoutable qu'une armée!
Mais tenir Jeanne Darc prisonnière n'est point assez pour l'Anglais. Il faut tenter de détruire le prestige de l'héro?ne de la France, et, par un procès infame, on essaie de la flétrir.
L'évêque de Beauvais, Pierre Cauchon, accepte le déshonneur et l'ignominie de cette tache.
Jeanne Darc est conduite à Rouen. Douze mois on la retient prisonnière, la harcelant nuit et jour d'odieuses obsessions. Enfin, après une procédure dans laquelle le ridicule le dispute à l'ignoble, au mépris de toutes les lois divines et humaines, Jeanne Darc, dite Pucelle, est déclarée _hérétique, dissolue, invocatrice de démons, blasphèmeresse de Dieu, pernicieuse, abuseresse du peuple, cruelle, devineresse, idolatre_.
Le 24 mai 1431, l'inique sentence re?oit son exécution, et Jeanne, conduite au b?cher, expire au milieu des plus cruels tourments.
--Jésus! Jésus! Jésus!
Telle est sa dernière parole, l'expression suprême de ses mortelles angoisses, cri de douleur et d'espérance qui, dominant les gémissements et les sanglots de la foule agenouillée autour du b?cher, monte vers le ciel comme pour demander grace pour cette France oublieuse qu'elle vient de sauver, pour ce roi ingrat qui lui doit sa couronne, et qui n'ont rien tenté pour l'arracher des mains de ses ennemis.
Le supplice de Jeanne Darc fit horreur aux Anglais eux-mêmes, et l'un de leurs généraux ne put s'empêcher, lorsqu'on lui en apprit les détails, de s'écrier d'une voix indignée:
--Ah! nous venons de commettre là un exécrable forfait! il nous portera malheur.
La France apprit avec épouvante l'horrible martyre de Jeanne Darc. Seul, peut-être, de tout son royaume, Charles VII ne sembla point ému. En douze mois il avait eu le temps d'oublier celle qui avait, à Reims, replacé la couronne sur sa tête. Pendant un an qu'avait duré son illégale captivité, il n'avait rien entrepris pour l'arracher à l'horreur de la prison;
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