Les cotillons célèbres | Page 4

Emile Gaboriau
du Pape assembla un concile à Lyon, excommunia Philippe, et mit le royaume en interdit.
L'amant d'Agnès ne se laissa pas abattre par cet anathème, arme terrible alors; il fit casser par le parlement la décision du concile et saisir le temporel des prélats qui l'avaient condamné.
A ce jeu il e?t perdu sa couronne, si Agnès, voyant l'isolement se faire autour du monarque impuissant à lutter contre les superstitions de son temps, ne s'était décidée au plus douloureux des sacrifices. Elle craignit de causer la perte de Philippe-Auguste et se retira dans un couvent où elle mourut de chagrin la même année.
Elle avait eu de ce prince deux enfants qu'Innocent III n'hésita pas à reconna?tre pour légitimes.
Nous voici arrivés à une des époques les plus tristes de notre histoire. Un fou est assis sur le tr?ne de France; à ses c?tés s'agite une incroyable mêlée de trahisons, de débauches et d'infamies. Les princes du sang, les frères du roi, se disputent les lambeaux du pouvoir, tandis qu'Isabeau de Bavière, épouse adultère, mère dénaturée, le vend à l'étranger[2].
Dans ce palais de l'h?tel des Tournelles, où la luxure trébuche à chaque pas dans le sang, une intéressante et douce physionomie se détache du moins sur le fond sombre du tableau, la ma?tresse ou plut?t la garde-malade de l'insensé Charles VI. Elle seule a le pouvoir de calmer ses accès furieux; il obéit à sa voix et le peuple attendri décerne à cet ange consolateur le surnom de petite reine.
L'histoire nous apprend peu de choses d'Odette de Champdivers. C'était, dit-on, la fille d'un marchand de chevaux; le roi la vit et la trouva belle; ce fut Isabeau elle-même qui, pour se débarrasser du malheureux insensé, la jeta dans le lit de son mari.
A dater de ce moment, toujours aux c?tés du roi de France, on retrouve Odette de Champdivers, sa seule joie dans ses intervalles lucides, comme les cartes à jouer ou tarots étaient sa seule distraction.
[Note 2: Voir, pour les détails de moeurs de cette époque déplorable de l'histoire de France, le Charnier des Innocents, de M. Julien Lemer.]
C'était, en effet, pour ce vieil enfant que l'on venait d'inventer les cartes dont l'imagier Jacquemin Gringonneur peignait si merveilleusement les bizarres figures.
Tandis que chacun cherchait à s'attacher à une fortune nouvelle et prenait parti pour le Bourguignon ou pour l'Anglais, la petite reine restait fidèle au malheur. Tandis que nobles et grands seigneurs abandonnaient le monarque infortuné, Odette de Champdivers, symbole du pauvre peuple attaché à son ma?tre, semble annoncer déjà l'apparition prochaine de ces deux vierges, l'une sainte et l'autre folle, qui devaient sauver la France agonisante, Jeanne Darc et Agnès Sorel.

II
AGNES SOREL.
LA COUR DE CHARLES VII.
Souverain dépossédé, roi sans couronne, Charles VII s'en allait perdant une à une les plus riches provinces de ce beau pays de France, devenu la proie des Anglais. La Normandie était conquise; Paris obéissait à des ma?tres venus d'outremer; Orléans et toutes les villes environnantes ne voyaient plus briller la fleur-de-lis d'or de la royauté fran?aise.
A l'insensé Charles VI il e?t fallu un successeur actif et énergique, Charles VII était indolent et faible: loin de profiter de l'ardeur guerrière de ses chevaliers fidèles, il ne songeait qu'à la contenir, et, sans souci de son devoir de roi, il ne s'occupait que de plaisirs et de fêtes, à l'heure où pièce à pièce s'écroulait l'édifice si péniblement construit de la nationalité.
L'Anglais, déjà, se croyait vainqueur, et le roi d'Angleterre prenait le titre de roi d'Angleterre et de France.
Quelques jours encore, et c'en était fait du royaume de Charles VII, la France était à deux doigts de sa perte, un miracle seul pouvait la sauver....
Le miracle eut lieu!
Une jeune paysanne, bien ignorante, bien inconnue, appara?t tout à coup à la cour du roi fugitif. C'est Jeanne Darc, l'humble bergère de Domrémy.
A travers mille périls, elle est venue trouver Charles VII, parce qu'elle en a re?u l'ordre d'en haut; des voix ont parlé à son oreille; elle a obéi.
A cette heure où le découragement s'est emparé de tous, elle annonce qu'elle a mission de Dieu pour chasser l'Anglais, pour faire sacrer le ?gentil Dauphin,? pour sauver la France.
L'incrédulité et la raillerie l'accueillent. En ce temps de superstitions et de ridicules croyances nul ne veut ajouter foi à ses paroles.
--Que peut cette vilaine pour votre cause? disent au roi les courtisans.
Mais Charles VII répond:
--Quelle que soit la main qui me rendra ma couronne, je bénirai cette main.
Et il accueille Jeanne Darc, et il déclare que, le premier, il veut combattre sous sa miraculeuse bannière.
A dater de ce moment la vierge de Vaucouleurs devient le premier capitaine de Charles VII, tous les seigneurs se disputent l'honneur de la suivre au combat. On forme sa maison, D'Aulon est son premier écuyer, Raymond et Louis de Contes sont ses pages; elle choisit pour hérauts
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