Les cotillons célèbres | Page 7

Emile Gaboriau
à lui faire mériter ce surnom de ?Victorieux? que lui décernèrent ses contemporains.
La France doit tant aux femmes, disait le tendre et discret Fontenelle, que pour les Fran?ais la galanterie est un véritable devoir de reconnaissance.
C'était vers la fin du mois d'octobre 1431; cinq mois s'étaient écoulés depuis la mort de Jeanne Darc. La cour errante du roi de France avait pris ses quartiers d'hiver au chateau de Chinon. Charles VII affectionnait tout particulièrement cette résidence batie au sommet d'un c?teau au milieu de l'un des plus ravissants paysages de ce beau pays de Touraine.
Charles VII n'était, pas encore ?le victorieux,? il n'était que le ?roi de Bourges,? surnom que lui avaient donné ses ennemis.
Les Anglais, avec leurs croix rouges, Voyant lors sa confusion, L'appelaient le roi de Bourges, Par forme de dérision.
Les affaires, à cette époque, allaient plus mal que jamais, les finances étaient complètement épuisées; et, de tous c?tés, on annon?ait ou l'on prévoyait des désastres; on comprend dès lors la mortelle tristesse de cette petite cour.
C'est donc avec un plaisir infini que Charles VII apprit l'arrivée à Chinon d'Isabelle de Lorraine, femme de René d'Anjou; il espérait que cette visite ferait quelque diversion à la monotonie de ses journées.
Isabelle de Lorraine, l'une des princesses les plus distinguées de son temps, venait à la cour de France, pour y solliciter la liberté de son mari fait prisonnier à la bataille de Bulgneville. Elle avait à plaider une cause difficile, puis elle comptait pour réussir, sur son adresse et sur les beaux yeux d'une de ses filles d'honneur, Agnès Sorel, que l'on appelait alors la demoiselle de Fromenteau.
Les espérances d'Isabelle ne furent pas trompées, toute la cour de Chinon n'eut plus bient?t d'yeux que pour la belle Tourangelle, et, plus que tous les autres, le roi la comblait de soins et d'attentions.
Agnès Sorel était, il faut le dire, dans tout l'éclat de son admirable beauté, et voici le portrait que trace d'elle un de ses contemporains, c'est-à-dire de ses admirateurs:
?C'était un teint de lis et de roses, des yeux où la vivacité était tempérée par tout ce que l'air de douceur a de plus séduisant, une bouche que les graces avaient formée; tout cela était accompagné d'une taille libre et dégagée, et relevé d'un esprit aisé, amusant, et d'un entretien dont la ga?té et le tour agréable n'excluaient ni la justesse, ni la solidité.?
La femme de René d'Anjou, certaine désormais de l'influence d'Agnès sur le coeur du roi, comprit que sa cause était gagnée; cependant Charles hésitait à se prononcer. C'est qu'il savait qu'une fois la liberté de son mari assurée, Isabelle partirait pour la Sicile, où l'accompagnerait sa belle fille d'honneur, et il ne se sentait plus la force de se séparer d'Agnès.
Isabelle avait, depuis longtemps déjà, pénétré le motif des hésitations du roi de France, mais il ne lui appartenait pas de les faire cesser. Elle attendit, décidée à profiter de la première occasion qui se présenterait. Elle n'eut pas longtemps à attendre.
Heureusement pour la liberté de René d'Anjou, les princes et les rois vont fort vite en amour, et Agnès avait été touchée de la grande passion de Charles; elle se sentit prise de tendresse pour ce monarque que tout abandonnait, et dès ce moment elle prit la résolution de céder. Peut-être fut-elle tentée par la grandeur de la tache imposée à l'amie de ce roi si faible, et con?ut-elle dès ce moment la pensée d'user de toute son influence pour en faire un héros.
Agnès consentit donc à se rendre aux voeux du roi, à seconder les secrets désirs d'Isabelle. Elle tomba malade, subitement, et, dès les premiers jours, sa maladie présenta un caractère si grave que les médecins, appelés par le roi, déclarèrent que la jeune fille ne pouvait entreprendre un long voyage, sans danger pour ses jours.
Cette déclaration ne trompait certainement personne; mais elle sauvait les apparences. Charles VII, peu habitué à dissimuler ses impressions, laissa éclater sa joie. Isabelle de Lorraine, au contraire, témoigna un violent dépit; elle hésitait, disait-elle, entre deux partis: attendre le rétablissement de sa fille d'honneur ou partir sans elle. Il fallait cependant prendre une décision. Isabelle demanda une audience au roi, et lui fit observer que si elle tardait davantage à se mettre en route, elle serait probablement arrêtée par les neiges; d'un autre c?té, elle hésitait beaucoup à abandonner une jeune fille si belle, si aimable, et qui lui avait été confiée.
Un mot de Charles VII arrangea tout. Il fut convenu qu'Agnès Sorel resterait à la cour, sous la surveillance de la reine Marie d'Anjou, et Isabelle de Lorraine, ayant obtenu la grace qu'elle sollicitait, fit ses préparatifs de départ et ne tarda pas à quitter Chinon.
Voilà donc Agnès Sorel seule à la cour de France. Elle était tombée malade subitement, son rétablissement fut tout aussi rapide,
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