il ne tenta rien pour venger sa mort.
Le roi de France était retombé dans son ancienne apathie, comme autrefois il ne songeait qu'aux amusements frivoles. Tandis que les Anglais s'acharnaient à détruire l'oeuvre de la Pucelle, Charles VII dissipait ses journées en parties de chasse et passait les nuits à exécuter des ballets de sa composition.
Ses capitaines, braves compagnons de Jeanne, murmuraient hautement; mais le roi ne voulait pas les entendre; il n'avait d'oreilles que pour les courtisans assez vils pour flatter tous ses go?ts. Que de fois cependant il eut à rougir de son inaction!
Un matin, Xaintrailles et La Hire étaient venus trouver le roi afin de tenir conseil; les événements se pressaient avec une inquiétante rapidité; on le trouva, entouré de quelques familiers, fort occupé d'un ballet qu'on devait donner le soir même. Charles VII, bien que fort contrarié de la visite matinale des deux vaillants hommes d'armes, voulut faire bonne contenance.
--Eh bien! mes amis, leur dit-il, que pensez-vous de cette danse? Ne trouvé-je pas, malgré l'Anglais, moyen de me divertir?
--Il est vrai, Sire, répondit froidement La Hire, et ?oncques on n'a vu ny oüy qu'aucun prince perdist si gaiement son estat.?
Charles VII tourna brusquement le dos au censeur incommode; il était de ceux que la vérité blesse; sensible à la gloire, ambitieux, il désirait le ?renom de grand capitaine et souhaitait de tout son coeur rentrer dans le domaine de ses pères,? mais l'énergie lui manquait et nul n'avait sur lui assez d'ascendant pour l'arracher aux obscurs plaisirs de sa petite cour.
--Vous êtes heureux, Sire, de savoir vous contenter de si peu, lui disait dans une autre occasion un de ses meilleurs amis.
Le roi de France, en effet, avait grandement besoin d'être philosophe; tous les jours n'étaient pas jours de fête à sa cour; l'argent manquait souvent le lendemain des ?festoyements,? il fallait alors recourir aux expédients. Toutes les chroniques de l'époque parlent de cet incroyable dén?ment; le roi manquait des choses les plus nécessaires, ses écuyers n'avaient rien à servir sur sa table, ses fournisseurs refusaient de lui faire crédit.
Voici ce que raconte Martial d'Auvergne.
Un jour que La Hire et Pothon Le vinrent voir pour festoyment, N'avoit qu'une queue de mouton Et deux poulets tant seulement. Las! cela est bien au rebours De ces viandes délicieuses, Et de ces mets qu'on a tous jours En dépenses trop somptueuses.
Une autre fois, Charles VII, qui se trouvait alors à Bourges, vint à manquer de chaussures; il fit mander un ma?tre cordonnier de la ville.
--Ma?tre, lui dit-il, prends moi la mesure d'une paire de souliers.
L'homme obéit.
--Maintenant, reprit le roi, tu peux te retirer, j'entends que ces souliers soient faits sans délai.
Et comme l'homme ne bougeait pas.
--Ne m'as-tu donc pas entendu? ajouta Charles VII.
--Pardonnez-moi, Sire, dit alors le ma?tre cordonnier, seulement il faut être juste en affaires.
--Certainement, mais que veux-tu dire?
--Rien, sinon qu'il m'est impossible de faire les souliers dont je viens de prendre la mesure.
--Et pourquoi?
--Je n'ai point l'habitude, Sire, de faire crédit aux gens insolvables, et depuis longtemps ceux qui fournissent au roi ne sont pas payés....
Charles VII entra dans une furieuse colère, mais le ma?tre cordonnier n'avait rien dit qui ne f?t l'exacte vérité; comment se révolter contre un fait?
Le soir même, le roi se plaignait amèrement de l'insolence de cet homme.
--Hélas, Sire, répondit un de ses familiers, il faut bien vous résoudre à n'avoir plus crédit à Bourges, ?puisque vous laissez les Anglais vous prendre tout.?
A ces moments d'humiliants déboires ?la rougeur d'une noble vergogne? colorait le front du prince; il maudissait son apathie et jurait de reconquérir son royaume, il demandait ses armes et voulait, à l'instant même, courir sus à l'Anglais, puis il allait s'enfermer seul dans une des pièces les plus sombres de son chateau et répandait des larmes amères. Mais sa colère se dissipait aussi vite qu'elle était venue, le lendemain il avait tout oublié et de rechef ne pensait qu'à trouver ?expédients de divertissements et de fêtes.?
Tel était le caractère de ce prince, faible, nonchalant, mobile. Impressionnable à l'excès, il avait des éclairs d'indignation et de courage, mais fréquentes étaient ses heures d'abattement et de désespoir. Un instant la voix inspirée de Jeanne Darc avait réveillé en lui le sentiment du devoir, mais cette voix éteinte, son caractère avait repris le dessus, et il semblait épuisé par les efforts d'énergie qu'il avait d? faire. Si bien que l'oeuvre de la Pucelle mena?ait de devenir inutile, lorsque parut Agnès Sorel.
Le tr?ne, sous Charles VII, a été sauvé par deux femmes, tel est le cri de l'histoire.
L'une est la vierge inspirée, qui, son miraculeux étendard à la main, conduisait elle-même les soldats à la bataille; l'autre est la ma?tresse du roi, la dame de beauté
Qui toujours songeant à la gloire Avant de songer à l'amour,
devint la bonne fée de son amant et contribua
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