Les conteurs à la ronde | Page 6

Charles Dickens

francs l'un pour l'autre, et que cette explication prévienne tout
malentendu. Michel, vous êtes, trop facile. Vous, n'êtes l'ennemi de
personne que de vous même. Si j'allais-vous faire cette réputation
fâcheuse parmi ceux avec qui nous entretenons des relations d'affaires,
en haussant les épaules, en hochant la tête avec un soupir, et si j'abusais
de votre confiance avec moi...
-- Mais vous n'en abuserez jamais, John jamais...
-- Jamais, sans doute, Michel, mon ami; mais je fais une supposition...
Si j'abusais de votre confiance en cachant ceci, en mettant cela au grand
jour, et puis en plaçant ceci dans un jour douteux, je fortifierais ma
position et j'affaiblirais la vôtre, jusqu'à ce qu'enfin je me trouverais
seul lancé sur la voie de la fortune et vous laisserais perdu sur quelque

rive déserte, loin, bien loin derrière moi.
-- C'est ce qui arriverait, en effet, John!
-- Afin de prévenir cela, Michel, dit John Spatter, pour rendre la chose
à peu près impossible, il doit y avoir une entière franchise entre nous;
nous ne devons rien nous dissimuler l'un à l'autre, nous ne devons avoir
qu'un seul et même intérêt.
-- Mon cher John Spatter, je vous assure que c'est là précisément
comme je l'entends.
-- Et quand vous serez trop facile, poursuivit John, dont les yeux
s'animèrent de la divine flamme de l'amitié, il faut que vous
m'autorisiez à faire en sorte que personne ne prenne avantage de ce
défaut de votre caractère; vous ne devez pas exiger que je le flatte et le
favorise, n'est-ce pas?...
-- Mon cher John Spatter, interrompis-je, je suis loin d'exiger cela. Je
veux, au contraire, que vous m'aidiez à le corriger.
-- C'est bien là mon intention.
-- Nous sommes d'accord, m'écriai-je, nous avons tous les deux le
même but devant nous, nous y marchons ensemble, nous cherchons à
l'atteindre honorablement; mêmes vues, un seul et même intérêt; nous
sommes deux amis confiants l'un dans l'autre, notre association ne peut
donc qu'être heureuse.
-- J'en suis assuré, reprit John Spatter, et nous nous secouâmes la main
très affectueusement.»
J'emmenai John à mon château, et nous y passâmes une journée de
bonheur. Notre association prospéra. Mon ami suppléa à tout ce qui me
manquait, comme je l'avais bien prévu; il m'aida à me corriger en
m'aidant à faire fortune, et montra ainsi largement sa reconnaissance de
ce que j'avais moi-même fait pour lui en l'associant à moi au lieu de le
laisser mon commis.

Je ne suis pas cependant très riche, car je n'ai jamais eu l'ambition de le
devenir, dit le parent pauvre en jetant un coup d'oeil sur le feu et se
frottant les mains; mais j'en ai assez. Je suis au-dessus de tous les
besoins et de tous les soucis, grâce à ma modération. Mon château n'est
pas un magnifique château; mais il est très confortable: l'air y est doux,
on y goûte tous les charmes du bien-être domestique.
Notre fille aînée, qui ressemble beaucoup à sa mère, a épousé le fils
aîné de John Spatter. Nos deux familles sont doublement unies par les
liens de l'amitié et de la parenté. Quelles soirées agréables que celles où,
étant rassemblés devant le même feu, comme cela nous arrive souvent,
nous nous entretenons, John et moi, de notre jeunesse et du même
intérêt qui nous a toujours attachés l'un à l'autre!
Je ne sais pas réellement, dans mon château, ce que c'est que la solitude.
J'y vois toujours arriver quelques-uns de nos enfants et de nos
petits-enfants. Délicieuses sont ces voix enfantines, et elles réveillent
un délicieux écho dans mon coeur. Ma très chère femme, toujours
dévouée, toujours fidèle, toujours tendre, toujours attentive et
empressée, est la principale bénédiction de ma maison, celle à qui je
dois la source de toutes les autres. Nous sommes une famille
musicienne, et lorsque Christiana me voit parfois un peu fatigué ou prêt
à devenir triste, elle se glisse au piano et me chante un air qui me
charmait jadis, à l'époque de nos fiançailles. J'ai la faiblesse de ne
pouvoir entendre chanter cet air par tout autre qu'elle. On le joua un
soir au théâtre où j'avais conduit le petit Franck, et l'enfant me dit, tout
surpris: «Cousin Michel, de quels yeux ces larmes brûlantes sont elles
tombées sur ma main?»
Tel est mon château et telles sont les particularités réelles de ma vie. J'y
amène quelquefois le petit Franck. Il est le bienvenu de mes
petits-enfants et ils jouent ensemble. À cette époque de l'année, -- à
Noël et au jour de l'An, -- je suis rarement hors de mon château. Car les
coutumes et les souvenirs de cette saison semblent m'y retenir; les
préceptes de ces fêtes chrétiennes semblent me rappeler qu'il est bon
d'être dans mon château.
Et ce, château est? -- observa une grande
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