se soucier d'elle (la Mort de l'Amour):
. . . . . . . . . . . . . Et, touchant Les flèches dont Zeus même adore la
brûlure, Il marchait dans son sang et dans sa chevelure;
l'Amour encore, le chasseur impitoyable, demandant au poète:
«Veux-tu m'adorer, vil esclave? Par moi tu souffriras, par moi tu seras
lâche et déshonoré», et le poète répondant: «Je t'adore» (la Fleur de
sang); et la rose naissant du désir d'Eros devant la grande Cythérée
endormie (la Rose):
Eros la vit. Il vit ces bras que tout adore, Et ces rongeurs de braise et
ces clartés d'aurore. Il contempla Cypris endormie, à loisir. Alors de
son désir, faite de son désir, Toute pareille à son désir, naquit dans
l'herbe Une fleur tendre, émue, ineffable, superbe, Rougissante,
splendide, et sous son fier dessin Flamboyante, et gardant la fraîcheur
d'un beau sein;
tous ces tableaux, et bien d'autres, forment une galerie flamboyante,
une galerie de Médicis, et peut-être la plus haute en couleur qu'un poète
ait jamais brossée.
V
Ainsi se précise l'originalité de M. de Banville. L'idolâtrie de la rime
implique une âme uniquement sensible au beau extérieur et s'accorde
exactement avec la théorie de «l'art pour l'art»; et le plus singulier
mérite de M. de Banville est peut-être d'avoir, entre tous les poètes,
appliqué cette étroite théorie avec une rigueur absolue.
Essayons de voir clair dans cette fameuse formule. Comme elle est
quelque peu équivoque, je n'ose dire inintelligible, on l'a réduite à cette
autre: «L'art pour le beau.» Mais celle-ci à son tour est trop simple et
trop large: il n'est presque point d'oeuvre à laquelle elle ne convienne;
car il y a le beau de l'idée, celui du sentiment, celui de la sensation, et le
beau de la forme, qui est intimement mêlé aux autres et qui n'en est
séparable que par un difficile effort d'analyse. «L'art pour l'art», ce sera
donc «l'art pour le beau plastique», sans plus. Et cette formule ainsi
interprétée, il me paraît qu'aucun poète n'y a été plus fidèle que l'auteur
des Exilés, non pas même le ciseleur d'Émaux et Camées.
On voit maintenant dans quel sens je disais que l'idée la plus persistante
de M. de Banville a été de n'exprimer aucune idée dans ses vers. Je
voulais dire qu'il n'en a jamais exprimé que de fort simples et de celles
qui revêtent naturellement et qui appellent une forme toute concrète; et
c'est à multiplier et à embellir ces images, à les traduire elles-mêmes
par des arrangements harmonieux de mots brillants, qu'a tendu tout son
effort. Et l'on pourrait presque dire aussi qu'il n'a jamais exprimé de
sentiments, sinon le sentiment de joie, d'allégresse, de vie divine qui
répond à la perception abondante et aisée des belles lignes et des belles
couleurs.
J'ai tenu bien haut dans ma main Le glaive éclatant de la rime...
Et j'ai trouvé des mots vermeils Pour peindre la couleur des roses.
C'est fort bien dit; et c'est parce qu'il n'a jamais aspiré à peindre autre
chose qu'il a été l'esclave à la fois et le dompteur de la rime et qu'il n'a
guère été que cela. Cherchez un poète qui ait plus purement, plus
exclusivement aimé et rendu le beau plastique, qui par conséquent ait
pratiqué «l'art pour l'art» avec plus d'intransigeance et une conscience
plus farouche: vous n'en trouverez point.
Prenez Théophile Gautier; outre qu'il est un peintre beaucoup plus
exact et minutieux que M. de Banville, il se mêle d'autres sentiments à
son adoration de la beauté physique. Au fond, les deux Muses d'Émaux
et Camées sont la Mort et la Volupté, tout simplement.
D'un linceul de point d'Angleterre Que l'on recouvre sa beauté.
Beauté, linceul, point d'Angleterre; ivresse des sens, peur de la mort et
fanfreluches, il y a au moins cela dans Gautier. Prenez même Armand
Silvestre: vous découvrirez, dans ses grands vers mélodieux,
monotones et tout blancs, un panthéisme bouddhique et le désir et la
terreur du par-delà. Mais M. Théodore de Banville célèbre uniquement,
sans arrière-pensée--et même sans pensée--la gloire et la beauté des
choses dans des rythmes magnifiques et joyeux. Cela est fort
remarquable, et surtout cela l'est devenu, par ce temps de morosité,
d'inquiétude et de complication intellectuelle. Vraiment il plane et
n'effleure que la surface brillante de l'univers, comme un dieu innocent
et ignorant de ce qui est au-dessous ou plutôt comme un être paradoxal
et fantasque, un porte-lauriers pour de bon qui se promène dans la vie
comme dans un rêve magnifique, et à qui la réalité, même
contemporaine, n'apparaît qu'à travers des souvenirs de mythologie, des
voiles éclatants et transparents qui la colorent, et l'agrandissent. Sa
poésie est somptueuse et bienfaisante. Et, comme le sentiment de la
beauté extérieure et le divin jeu des rimes, s'ils ne sont pas
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