Zurich, comme, quatre-vingt-dix ans auparavant, Villars l'avait sauvée à Denain.
Mais, à l'intérieur, les affaires n'étaient point en si bon état, et le gouvernement directorial était, il faut le dire, fort embarrassé entre la guerre de la Vendée et les brigandages du Midi, auxquels, selon son habitude, la population avignonnaise était loin de rester étrangère.
Sans doute, les deux voyageurs qui descendirent de la chaise de poste, arrêtée à la porte de l'h?tel du Palais-Royal, avaient-ils quelque raison de craindre la situation d'esprit dans laquelle se trouvait la population, toujours agitée, de la ville papale, car, un peu au-dessus d'Orgon, à l'endroit où trois chemins se présentent aux voyageurs -- l'un conduisant à N?mes, le second à Carpentras, le troisième à Avignon -- le postillon avait arrêté ses chevaux, et, se retournant, avait demandé:
-- Les citoyens passent-ils par Avignon ou par Carpentras?
-- Laquelle des deux routes est la plus courte? avait demandé, d'une voix brève et stridente, l'a?né des deux voyageurs, qui, quoique visiblement plus vieux de quelques mois, était à peine agé de trente ans.
-- Oh! la route d'Avignon, citoyen, d'une bonne lieue et demie au moins.
-- Alors, avait-il répondu, suivons la route d'Avignon.
Et la voiture avait repris un galop qui annon?ait que les citoyens voyageurs, comme les appelait le postillon, quoique la qualification de monsieur commen?at à rentrer dans la conversation, payaient au moins trente sous de guides.
Ce même désir de ne point perdre de temps se manifesta à l'entrée de l'h?tel.
Ce fut toujours le plus agé des deux voyageurs qui, là comme sur la route, prit la parole. Il demanda si l'on pouvait d?ner promptement, et la forme dont était faite la demande indiquait qu'il était prêt à passer sur bien des exigences gastronomiques, pourvu que le repas demandé f?t promptement servi.
-- Citoyen, répondit l'h?te qui, au bruit de la voiture, était accouru, la serviette à la main, au-devant des voyageurs, vous serez rapidement et convenablement servis dans votre chambre; mais si je me permettais de vous donner un conseil...
Il hésita.
-- Oh! donnez! donnez! dit le plus jeune des deux voyageurs, prenant la parole pour la première fois.
-- Eh bien, ce serait de d?ner tout simplement à table d'h?te, comme fait en ce moment le voyageur qui est attendu par cette voiture tout attelée; le d?ner y est excellent et tout servi.
L'h?te, en même temps, montrait une voiture organisée de la fa?on la plus confortable, et attelée, en effet, de deux chevaux qui frappaient du pied tandis que le postillon prenait patience, en vidant, sur le bord de la fenêtre, une bouteille de vin de Cahors.
Le premier mouvement de celui à qui cette offre était faite fut négatif; cependant, après une seconde de réflexion, le plus agé des deux voyageurs, comme s'il fut revenu sur sa détermination première, fit un signe interrogateur à son compagnon.
Celui-ci répondit d'un regard qui signifiait: ?Vous savez bien que je suis à vos ordres.?
-- Eh bien, soit, dit celui qui paraissait chargé de prendre l'initiative, nous d?nerons à table d'h?te.
Puis, se retournant vers le postillon qui, chapeau bas, attendait ses ordres:
-- Que dans une demi-heure au plus tard, dit-il, les chevaux soient à la voiture.
Et, sur l'indication du ma?tre d'h?tel, tous deux entrèrent dans la salle à manger, le plus agé des deux marchant le premier, l'autre le suivant.
On sait l'impression que produisent, en général, de nouveaux venus à une table d'h?te. Tous les regards se tournèrent vers les arrivants; la conversation, qui paraissait assez animée, fut interrompue.
Les convives se composaient des habitués de l'h?tel, du voyageur dont la voiture attendait tout attelée à la porte, d'un marchand de vin de Bordeaux en séjour momentané à Avignon pour les causes que nous allons dire, et d'un certain nombre de voyageurs se rendant de Marseille à Lyon par la diligence.
Les nouveaux arrivés saluèrent la société d'une légère inclination de tête, et se placèrent à l'extrémité de la table, s'isolant des autres convives par un intervalle de trois ou quatre couverts.
Cette espèce de réserve aristocratique redoubla la curiosité dont ils étaient l'objet; d'ailleurs, on sentait qu'on avait affaire à des personnages d'une incontestable distinction, quoique leurs vêtements fussent de la plus grande simplicité.
Tous deux portaient la botte à retroussis sur la culotte courte, l'habit à longues basques, le surtout de voyage et le chapeau à larges bords, ce qui était à peu près le costume de tous les jeunes gens de l'époque; mais ce qui les distinguait des élégants de Paris et même de la province, c'étaient leurs cheveux, longs et plats, et leur cravate noire serrée autour du cou, à la fa?on des militaires.
Les muscadins -- c'était le nom que l'on donnait alors aux jeunes gens à la mode -- les muscadins portaient les oreilles de chien bouffant aux deux tempes, les cheveux retroussés en chignon derrière la tête, et la cravate immense aux longs
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