on lui avait attaché une casserole à la queue.
L'ours le regarda fuir avec dédain et se dirigea du côté du pommier.
Quelques pommes pourries étaient tombées dans l'herbe; il ne fit point
le dégoûté, et les dévora pour se mettre en appétit. Quand il ne resta
plus une seule pomme à terre, il s'assit tranquillement, et, levant la tête
vers l'inventeur du bouton inamovible, ouvrit la gueule toute grande.
L'inventeur du bouton inamovible comprit cette muette requête, et, sans
se demander à qui appartenait le pommier, il fit pleuvoir les pommes
dans la gueule de Martin.
[Illustration: Il fit pleuvoir les pommes dans la gueule de Martin.]
Les pommes pleuvaient donc, dru comme grêle, et Martin les
engloutissait avec une facilité qui donnait la chair de poule au
conseiller municipal. Alors il se dit: «Quand il les aura toutes mangée»
(car, au train dont il y va, elles y passeront toutes), faudra-t-il donc que
je suive le même chemin?» Cette effroyable pensée lui faisait courir des
frissons dans le dos, et ses cheveux se dressaient d'horreur.
XI
Prodigue des pommes du prochain, l'inventeur du bouton inamovible
les lançait à toute volée dans la gueule béante de Martin: l'une
n'attendait pas l'autre. Mais comme la main lui tremblait, et qu'il était
dans une violente agitation nerveuse, le fournisseur de Martin manquait
souvent le but, et Martin recevait les pommes tantôt sur l'oeil, tantôt sur
le nez. Au commencement, il se contentait de cligner l'oeil ou de
froncer le nez; mais, quand sa première faim fut assouvie, il se montra
plus difficile, et le jeu lui déplut.
Trouvant qu'on le servait mal, il prit la résolution de se servir lui-même.
Ce n'était pas déjà si mal raisonné pour un épais plantigrade. D'ailleurs
il pensait, comme les écoliers, que les fruits sont bien plus savoureux
quand on les croque sur l'arbre. «Allons, houp!» se dit-il pour
s'encourager à se lever. Là-dessus il se mit d'abord à quatre pattes,
renifla pour chasser une mouche importune, et se décida à se dresser
sur ses pattes de derrière. Azor, qui le regardait de loin, la queue entre
les jambes, trembla de tout son corps quand il vit Martin se redresser
lourdement et se diriger vers le tronc du pommier.
Il s'assit tristement et regarda la terre, honteux sans doute de sentir si
développé en lui l'instinct de la conservation.
L'inventeur du bouton inamovible, qui le regardait de près, de trop près,
hélas! sentit que ses rares cheveux se dressaient sur son crâne pelé, et il
comprit que sa fin était proche. Alors il maudit pour la seconde fois
l'audace téméraire qui l'avait lancé dans le vaste monde à la poursuite
du gibier à plume et du gibier à poil.
Que n'aurait-il pas donné pour être tranquillement assis sous sa tonnelle
ou au coin de son feu, les pieds dans ses pantoufles, lisant le Moniteur
de Courbevoie ou le Petit Journal, ou bien faisant une partie de loto ou
de bésigue avec ses voisins de campagne? Il se fût contenté à moins; il
aurait consenti, à condition d'avoir la vie sauve, à retourner au
_Bouton-d'Or_ et à servir la pratique. Il se fût même trouvé trop
heureux de redevenir le simple apprenti qui couchait dans un galetas et
mangeait de la morue cinq fois par semaine.
[Illustration: Son nouvel ami faisait fausse route.]
Car, après tout, mieux vaut être un pauvre apprenti bien vivant et bien
portant, qu'un riche conseiller municipal mort et enterré. Que dis-je,
enterré? Englouti serait le mot propre, et englouti à la suite de huit ou
dix quarterons de pommes! Quelle sépulture pour un inventeur célèbre,
pour un conseiller municipal, pour un homme riche qui s'était fait
construire un tombeau de famille! Il recommanda son âme à Dieu;
ensuite, les larmes aux yeux, il donna une dernière pensée à sa chère
Anastasie, qui mourrait de chagrin en apprenant son funeste destin. S'il
ne pensa pas à ses enfants, c'est tout simplement parce qu'il n'avait pas
d'enfants.
XII
Déjà les griffes de l'ours grinçaient sur l'écorce de l'arbre, et sa
puissante haleine chauffait les mollets du chasseur en détresse.
Poussé par l'instinct de la conservation, l'inventeur du bouton
inamovible exécuta une laborieuse série d'exercices gymnastiques, dont
le résultat fut un changement de front. Désormais il faisait face à
l'ennemi, et il tournait le dos à l'extrémité de la branche.
L'ours saisit le tronc du pommier entre ses bras puissants et se mit à
grimper prestement. A mesure qu'il grimpait, le chasseur reculait vers
l'extrémité de la branche.
L'ours, qui n'était pas une bête, comprit que son nouvel ami faisait
fausse route, et que, s'il persévérait dans cette mauvaise voie, la
branche casserait et l'ami se romprait les os. En vain il lui prodiguait les
signes, les clins d'oeil; l'autre, qui se méprenait sur
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